Parmi les nombreuses significations listées sous l’entrée « spectre » dans les dictionnaires des XIXe et XXe siècle, on cherchera en vain l’acronyme par lequel Ian Fleming désigne l’organisation criminelle que combat le fameux agent secret au service de sa Majesté : Special Executive for Counterintelligence, Terrorisme, Revenge and Extortion. Pourtant, l’étymologie promet des détours surprenants.

Les dictionnaires mentionnent pour ce terme trois grands champs thématiques dont le plus inattendu est probablement celui de la zoologie. D’autant plus que l’acceptation zoologique de « spectre » désigne des espèces qu’à priori rien ne rapproche. Il y a d’abord les phasmes, insectes orthoptères de forme allongée connus pour leur mimétisme, qui leur donne une apparition fantastique, presque surnaturelle. D’où leur nom, dérivé du grec phasma signifiantapparence, fantôme, monstre.

Y figure ensuite le tarsier spectre, petit primate nocturne de taille modeste, au pelage doux et doté d’impressionnants globes oculaires que l’on rencontre surtout dans l’île de Célèbes dans le nord de l’Indonésie. Son nom commun français est une traduction du nom scientifique Tarsius spectrum, du substantif latin spectrum, -i, n., dérivé du verbe specio, -is, -ere, spexi, spectum qui veut dire « regarder ». 

Enfin, le lexicographe oublié Pierre-Claude-Victor Boiste, dans la 2e édition de son Dictionnaire universel de la langue françoise, avec le latin, et manuel d’orthographe et de néologie, publié en 1803 à Paris, donne pour « spectre » la signification de… « chauve-souris ». 

Newton avait raison

Les non-zoologues sont sûrement plus familiers avec les acceptations issues des sciences de la matière. Isaac Newton, dans son fameux Optique (1704)désigne par spectrum : un « ensemble des rayons colorés résultant de la décomposition d’une lumière complexe ». 

Par la suite et par analogie, le terme est récupéré dans différents domaines scientifiques. On rencontre ainsi dans le Dictionnaire d’électricité et de magnétisme (1883) d’Ernest Jacquez le « spectre magnétique » : « Figure constituée par de la poussière de fer qu’on projette sur du papier, au-dessus des pôles d’un aimant, et qui se dépose en indiquant la direction des lignes de force ». Curieusement, les synonymes allemands et anglais Magnetische Figur et magnetic curve se traduiraient respectivement par figure et viragemagnétique

En 1964, le futur Grand Robert, dénommé encore un peu lourdement Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, note pour les mathématiques : le « spectre d’une matrice » ; que l’analyste numéricien nord-américain Gene H. Golub et son collègue, l’informaticien Charles F. Van Loan, définissent dans Matrix Computations (1983) comme « l’ensemble de ses [= le spectre] valeurs propres ».

Également en 1964, le Grand Larousse encyclopédique en dix tomes ajoute « spectre acoustique » pour : « Représentation de l’amplitude des composantes d’un son complexe en fonction de la fréquence ». Avant que, cinq ans plus tard, Les Médicaments de Jean-Marie Pelt nomment « spectre d’activité » la « liste des germes sensibles à un antibiotique ».

Que ce soit en physique, en mathématiques, en acoustique ou en médecine, le terme « spectre » est ici employé au sens de « champ d’action ou extension de quelque chose ». Ce qui l’...