Autrice de romans à succès pour les adolescents et les jeunes adultes, Ellen Hopkins fait partie des artistes visés par la censure aux États-Unis. Ses livres Tricks et Crank (argot pour méthamphétamine), non traduits en France, sont en cinquième et huitième position du classement établi par l’American Library Association des 10 ouvrages les plus ciblés et/ou bannis. Si les thèmes abordés sont difficiles, Ellen Hopkins insiste sur la nécessité de s’y confronter pour mieux les appréhender au quotidien.


Benoit Landon : Deux de vos livres figurent dans le top 10 des livres les plus contestés/bannis de 2024, selon l’American Library Association. Qu’en pensez-vous ?
Ellen Hopkins : Seulement deux ? (rires)
Nous vivons actuellement une période très politisée. Au fil des ans, mes livres ont fait l’objet de nombreuses contestations. Un parent trouvait mon livre chez son enfant et voulait savoir de quoi il parlait ou pourquoi son enfant le lisait. Cela pouvait alors donner lieu à une conversation. Aujourd’hui, il n’y a plus de conversation.
Les groupes qui ont pris le pouvoir dans les conseils de classe ou les commissions scolaires interdisent tout simplement les livres. Ils ne les examinent même pas. C’est une parodie de justice, car ils ne savent même pas pourquoi ils les interdisent. Tout ce qu’ils savent vient de quelques citations mises en ligne et cela justifie, selon eux, l’interdiction de ces livres.
La vie de chaque enfant de 16 ans est différente, n’est-ce pas ? Certains ont vécu les situations dont je parle dans mes livres ou dont parlent d’autres auteurs. S’ils vivent ces choses, ils sont suffisamment matures pour lire nos livres.
BL : Selon les personnes qui ciblent vos livres, ceux-ci sont sexuellement explicites et mettent en scène la consommation de drogues. Pourquoi était-il important pour vous d’écrire sur la sexualité et la dépendance pour un public adolescent ?
EH : Parce que cela fait partie de leur vie, de ma vie, de votre vie. La dépendance touche la vie de tout le monde, d’une manière ou d’une autre. Crank est l’histoire de ma fille. Mon objectif en écrivant ce livre, et ceux qui ont suivi, a toujours été de présenter une situation à laquelle d’autres enfants peuvent être confrontés. Quand ils vont à une fête, quelqu’un peut leur dire « essaie ça, tu vas aimer ». S’ils ont une idée des conséquences, ils seront plus raisonnables et diront « non, je ne pense pas que je veuille vraiment faire ça parce que j’ai lu à propos de ce sujet ». Il est donc important d’apporter une certaine perspective dans cet espace restreint où vivent beaucoup d’enfants. Affirmer que si nous n’écrivons pas sur les drogues, elles disparaîtront, est un mensonge. Cela ne s’est jamais produit. J’étais adolescente dans les années 70, la drogue circulait, mais plus nous en savions sur leurs effets, plus nous avions de raisons de dire « non merci ». Je pense qu’il sera toujours important que les enfants aient cette information et comprennent les conséquences des choix qu’ils vont faire.
“Lire des histoires dont les personnages se posent les mêmes questions est un moyen beaucoup plus sûr de trouver des réponses que ce que l’on peut chercher sur son téléphone portable.”
BL : Comment réagissez-vous aux préoccupations des personnes qui s’attaquent à vos livres en raison de leur contenu ?
EH : En ce qui concerne le contenu à caractère sexuel, je suis désolée, mais les enfants commencent à penser au sexe avant même d’être adolescents. Essayer de comprendre ce qu’est le sexe, cela fait partie du processus de maturation. D’où viennent les chiots, maman ? D’où vient mon petit frère, maman ? Tout cela fait partie d’une curiosité naturelle et saine. À l’adolescence, cela devient davantage une exploration de soi. Qui suis-je ? De qui vais-je tomber amoureux ? Est-ce que je veux avoir des relations sexuelles maintenant ? Suis-je prêt(e) pour cela ? Peut-être que oui, peut-être que non. Et si oui, avec qui est-ce que je veux le faire ? Ce sont des questions naturelles et saines, et encore une fois, lire des histoires dont les personnages se posent les mêmes questions est un moyen beaucoup plus sûr de trouver des réponses que ce que l’on peut chercher sur son téléphone portable. Quand j’étais adolescente, il fallait payer pour accéder à du contenu pornographique. Aujourd’hui, on peut en trouver partout, et la pornographie ne donne pas vraiment de cadre, elle ne donne que les mécanismes, et une vision très malsaine du sexe, à mon avis – pas toute la pornographie, mais une grande partie.
BL : Malgré la censure, vos livres sont souvent en tête des ventes dans les classements du New York Times. Lorsque vous rencontrez vos lecteurs, quelles interactions avez-vous avec eux, et que retirent-ils de la lecture de vos œuvres ?
EH :Crank a 20 ans et au cours de ces vingt dernières années, j’ai reçu des commentaires de dizaines de milliers de lecteurs. Quand Crank est sorti, le seul réseau social existant était MySpace. Les artistes pouvaient communiquer en temps réel avec les lecteurs. Ils pouvaient m’envoyer des messages, et je pouvais leur répondre. Cela a donné lieu à une véritable relation. J’ai entendu des histoires qui font passer mes livres pour assez sages, je peux vous le dire. Ils ont partagé leurs histoires. Ils m’ont remerciée pour cette prise de conscience. Beaucoup d’entre eux ont décidé de se lancer dans le travail social ou la psychologie après avoir lu le livre. Un jeune m’a dit : « Quand je lis vos livres, je ne peux pas aider vos personnages, cela me dérange, je veux les aider », alors il est devenu psychologue. Les messages viennent de tous les horizons et sous toutes les formes.
J’ai même dû m’impliquer dans plusieurs histoires, notamment en contactant des conseillers scolaires parce que je savais qu’il y avait des abus sexuels dans le foyer. Une fois, une fille m’a envoyé un message parce que son père venait de jeter sa m...