Nathan est un stagiaire mal payé dans une boutique qui vend des snikeurses. Un jour, un vieux monsieur se rend dans la boutique pour en acquérir. Malheureusement, les snikeurses vont entraîner une série de conséquences tragiques. Un texte de fiction, à l’ironie parfaitement maîtrisée,de Marie Salloum.

Nathan est stagiaire quart de smicard dans une boîte à pompes. Il est si convaincu de l’intérêt public de sa boîte qu’il en a acheté les chaussures, pour mieux les vendre et pour bénéficier des 10 % internes. En réalité, cette chaussure possède une semelle épaisse pour éviter les ampoules et elle est conçue expressément pour les marches légères.

— Et les snikeurses ?

— Ah les snikeurses monsieur, elles font partie de la nouvelle collection, elles ne sont pas soldées.

— Donnez-m’en tout de même.

— Vous faites quelle pointure ?

— Je l’ignore, donnez-m’en de grandes pour que ce soit confortable.

— Il faut que je sache votre pointure, sinon ce ne sera pas confortable en réalité.

— Ah bien, je l’ignore.

— Je vais vous donner du 42. Vous voulez lesquelles ?

— Il m’en faut de très confortables.

— Vous préférez un modèle plutôt ouvert ou plutôt classique ?

— Comment sont les classiques ?

— Blanches avec un rayé vert, ce sont les classiques depuis 1990 monsieur.

— Ah, non, je veux autre chose.

Pendant que Nathan cherche des snikeurses pour le monsieur, celui-ci s’affaisse, s’affaisse, et pique de la tête.

— Voilà monsieur, des baskets noires ça vous va ? on les essaie ?

Nathan s’agenouille pieusement devant le monsieur, lui enlève ses chaussures qui datent de la guerre d’Indochine et lui met les baskets noires à semelles orthopédiques.

— Ils sont made in France monsieur.

— Comment ?

— C’est très quali.

— Ah, oui. Mais ça me va bien !

— Voulez-vous marcher, un peu ?

— Bien, bien, je m’exécute, si vous le voulez.

Nathan aide le monsieur à se lever et il fait trois pas comme les enfants montent des marches, l’autre pied rejoignant le premier, les bras très mobiles, alternativement.

— C’est assez mou, sur la plante.

— Ce sont des baskets, monsieur, c’est confortable.

— Ben ça, oui c’est tout confort. Et il y a des scratches ?

— Non, ce sont des lacets, mais faciles à faire, élastiques et en fibres de polyuréthane.

— J’espère bien. Hihi…

Le monsieur va s’asseoir.

— C’est un peu serré, là, dit-il massant son index violet de vieillesse sur tout le côté rembourré.

— C’est normal, monsieur, les côtés sont rembourrés. Ça va se détendre avec le temps. Ça permet l’équilibre de la voûte.

— Ah, bon. Mais c’est presqu’élégant ces machins-là.

— C’est la nouvelle collection monsieur ! On ne fait rien de mieux.

— Sans doute, sans doute … je vous dois combien ?

— Il faut payer à la caisse, si ça vous va, c’est 220 euros. C’est la moins chère de la nouvelle collection.

— Tout de même, mais ça va. Je peux les garder aux pieds ?

— Bien sûr monsieur, je vous mets les vôtres dans la boîte.

Pendant que Nathan fait son affaire le monsieur s’affaisse, se tient aux vitrines, étourdi par la musique, les langues asiatiques et le bruit de fond du magasin.

— Ça va monsieur, je vous mène aux caisses ?

— Je veux bien, jeune homme.

Le monsieur sourit, sous son grand manteau et son pantalon large ses chaussures sont peu visibles, mais il a l’impression de bondir à chaque pas.

— C’est serré sur le côté, c’est normal ?

— Oui, monsieur, ça va se détendre avec le temps. 

— Combien je vous dois ?

— 220 euros monsieur, c’est la moins chère de la nouvelle collection.

C’est la moitié du demi-salaire de Nathan.

— Vous prenez les chèques ?

— Pas du tout, la maison n’accepte pas les chèques depuis le 1er octobre 2017.

— Quel dommage. Quel dommage. Il va falloir que je retire de l’argent à la banque.

— Avez-vous une carte bancaire monsieur ?

— Il me semble.

— Avez-vous la carte du magasin monsieur ?

Le monsieur fouille dans son sac et tend à Nathan le plan du centre commercial.

— Merci ! Alors vous pouvez insérer votre carte dans ce lecteur. Et vous tapez votre code. Ça ira ? Marta — est-ce que tu peux aller voir la dame au rayon talons.

Le monsieur fait rentrer la carte dans le lecteur, puis tombe à la renverse.

Par chance, derrière lui il y a une banquette rembourrée pour essayer les chaussures.

Nathan, aveuglé derrière le sac énorme où il a mis les chaussures sur la caisse, ne trouve plus le monsieur.

— Mais il est parti où ?

Marta a vu le monsieur tomber.

— Nathan, appelle le PC sécurité steuplait.

Nathan aperçoit le monsieur renversé. Heureusement que Marta lui a donné un ordre sinon il ne saurait pas quoi faire. Marta tient la main du monsieur et lui débite une série de questions pour qu’il reprenne conscience. Cinq clients appellent les pompiers séparément. 

— Attendez, dit Nathan, on a déjà appelé le PC sécurité. Messieurs dames, tout va bien se passer, ils vont venir bientôt.

Angèle, la cheffe de Nathan débarque et di...