ANALYSE. Le développement personnel et ses diverses branches ont pris de l’ampleur depuis plusieurs années, en dépit ou grâce au contexte d’un climat global en proie à la perte de sens, à la solitude et à la « surconnexion ». Bien que faisant état d’une opposition, d’un clivage radical au sein de nos sociétés occidentales qui oscillent entre discours scientifique institutionnel et pensée spirituelle alternative, il suffit de lire la presse actuelle ou d’ouvrir une page YouTube pour voir que la «pensée créatrice », ou la «pensée magique » est en train de fédérer de plus en plus d’adeptes. Quel lien existe-t-il entre développement personnel et pensée magique ? Nous allons le voir dans cette enquête.
Parmi les nombreux enseignements et méthodes de cette nouvelle forme de spiritualité, celle qui puise chez son aînée communément appelée New Age et qui entretient des liens troubles avec le développement personnel se trouve la croyance selon laquelle nos pensées et nos souhaits deviennent réalité par le pouvoir de la « loi de l’attraction». En d’autres termes, penser que l’on est riche nous rend riches ; souhaiter que quelqu’un soit amoureux de nous le rend amoureux de nous. Rien de plus simple que cela, peu d’efforts à faire, c’est l’univers et sa force d’attraction qui se charge de mettre en place les conditions propices à la réalisation matérielle du vœu. Un seul credo : le lâcher prise : une façon extraordinaire de guérir, de transmuter certains blocages et d’avancer dans sa vie, selon la célèbre Youtubeuse Jenna Blossoms.
Qu’une telle croyance soit perçue comme « irrationnelle » de la part de ses détracteurs n’empêche pas pour autant le mouvement de prendre de l’ampleur. Car rappelons-le, depuis la période du Covid, et même bien avant, le besoin de retrouver le contrôle sur sa vie, de se créer des conditions matérielles d’existence décentes dans un contexte d’inflation croissante, ou encore de trouver l’amour à l’ère des applications de rencontre qui nous séparent plus qu’elles nous unissent, n’a jamais été aussi fort. L’atmosphère d’instabilité et de peur globale mettent en place les conditions parfaites pour se laisser séduire par un tel discours. Faire confiance à la pensée magique ne coûte pas grand-chose en termes de temps et d’énergie, après tout. Mais surtout, la pensée magique est la promesse d’un gain, d’un apport, d’une rétribution qui rend la vie plus plaisante et plus agréable. Quoi de plus naturel que de désirer le bonheur ?
Joan Didion, écrivaine et journaliste américaine écrit dans L’Année de la pensée magique, un essai qu’elle écrivit suite à la mort de son mari John Gregory Dunne : « Quand les temps sont difficiles, m’avait-on enseigné depuis toute petite, lis, apprends, révise, va aux textes. Savoir, c’était contrôler. » C’est dans ce contexte de folie du deuil que ce récit raconte la rédemption de cette expérience indicible par le travail de la mémoire et le désir de comprendre, de contrôler les événements de sa vie, la question du bonheur y étant naturellement évacuée. Ce que nous illustre Didion, c’est la quête d’un refuge, d’une stabilité émotionnelle dans une période de bouleversement de l’existence et de grande vulnérabilité.
Car c’est face à l’urgence de réaffirmer son pouvoir sur son propre destin que la pensée magique trouve un terrain fertile. Il s’agit en somme d’un besoin de réévaluation de sa propre existence et de foi en un ordre plus grand, l’« univers », qui serait capable d’agir, de reconfigurer l’expérience vécue dans le sens de quelque chose de plus bénéfique. Faire confiance à ces croyances et pratiques « douteuses » en période de grande difficulté – qu’elles soient d’ordre matérielles ou émotionnelles – n’a rien d’inédit : le pouvoir de la foi a toujours été promesse de bonne fortune.
Si on ne peut remettre en question le besoin d’éclairer et de lutter contre la dépossession de son propre destin, on peut en revanche se questionner sur la rigueur d’une telle doctrine et sur son lien avec le développement personnel. Alors qu’on associe le développement personnel à un ensemble de théories et pratiques concrètes qui permettent d’améliorer son quotidien, la pensée magique vient projeter une ombre mystique, ésotérique sur un discours qui, à défaut d’être validé scientifiquement, recèle en lui une certaine exigence d’empirisme et de méthode.
Alors qu’on associe le développement personnel à un ensemble de théories et pratiques concrètes qui permettent d’améliorer son quotidien, la pensée magique vient projeter une ombre mystique
Oppositions et continuités entre pensée magique et développement personnel
Les principes fondamentaux du développement personnel reposent sur l’idée que chaque individu a le potentiel de s’améliorer à travers un travail constant et rigoureux. Les théories de la motivation, telles que celles développées par Abraham Maslow et son concept de la pyramide des besoins, ou encore les recherches de Carol Dweck sur la mentalité de la croissance, en sont les exemples les plus parlants.
Internet, en particulier YouTube et TikTok, regorgent de contenus vidéos ou de formations payantes de coaching visant à améliorer la connaissance de soi, la gestion des émotions et l’accomplissement d’objectifs concrets à travers des techniques d’auto-évaluations, des ajustements basés sur des méthodes objectives.
Or, le domaine du développement personnel n’exclut pas d’autres pratiques, moins cadrées, plus spirituelles, du moment qu’elles viennent en aide à l’individu. Il ne faut pas oublier que le développement personnel repose sur l’idée que tout peut être utilisé pour aider chacun à améliorer sa qualité de vie. Or, une croyance grandissante s’est installée au sein de ce modèle de vie, et ne cesse de se répandre en tant que spiritualité alternative. Il s’agit de la pensée magique, ou l’idée de la loi de l’attraction popularisée depuis le début des années 2000 avec la parution du livre de Rhonda Byrne, Le Secret en 2006. Émergeant dans un contexte socio-économique instable au début des années 2000, cette période est marquée par des crises économiques telles que l’éclatement de la bulle internet en 2000 et les répercussions des attentats du 11 septembre 2001, qui ont conduit à une atmosphère de peur et d’incertitude globale. Ces événements ont provoqué une quête croissante de sens et de sécurité, poussant de nombreuses personnes ...