Marion Bauer pratique le tarot depuis plusieurs années. Dans le cadre de notre dossier sur les métamorphoses de la spiritualité, elle partage son regard sur la cartomancie et ce que cette pratique lui a apporté humainement et intellectuellement.
Le tarot ne se cherche pas. Il se révèle, se glisse dans notre quotidien quand nous sommes prêts à l’entendre. Il ne s’impose pas, se présente plutôt comme une invitation inéluctable. Ce n’est pas un choix, c’est une rencontre. Il se fraie un chemin jusqu’à nous, guidé par le geste d’un ami, d’un aïeul, ou même d’un visage étranger dont on ne retient que l’élan. Il attend patiemment dans une librairie poussiéreuse ou surgit soudain, offert lors d’une cérémonie intime.
Le tarot n’est pas qu’une affaire d’intuition, une interaction fugace entre le destin et l’instant, il demande une méthode d’analyse rigoureuse.
Et pourtant, derrière cette apparente discrétion, se cache une connaissance profonde et ancestrale. Le tarot traverse les âges, riche en symboles, en chiffres secrets et en énigmes anciennes. Il garde un savoir que l’on déchiffre lentement, guidé par nos intuitions, à la façon des alchimistes transformant le plomb en or. Le tarot de Marseille ouvre une porte sur le passé occulte de la France, reflétant des mystères enfouis depuis des siècles. À mes yeux, c’est le tarot de Pamela Colman-Smith qui résonne avec la plus grande clarté. Un jeu qui, sous l’apparence de son nom masculin – le tarot Rider-Waite – cache la contribution essentielle d’une femme oubliée, effacée des mémoires comme tant d’autres. Pamela Colman-Smith, génie derrière ce tarot, était une artiste féministe et visionnaire. Elle a insufflé ses rêves et ses luttes dans les figures iconiques du tarot de Marseille, dans un monde qui réduisait encore les femmes à des rôles secondaires. Ses illustrations – telles que la rayonnante Reine de Bâtons ou la fière Reine de Deniers – vibrent d’une force, d’une vitalité et d’un symbolisme coloré, défiant le passage du temps. Quand je tiens ce jeu entre mes doigts fuselés, je rends hommage à une femme qui, malgré sa mort dans une relative pauvreté et la spoliation de son travail par Arthur Edward Waite, a lutté pour que ses créations existent. Chaque fois que je mélange ces cartes, j’ai l’impression de faire revivre son héritage féministe, engagé, mystique.
On pourrait penser que le tarot n’est qu’une affaire d’intuition, une interaction fugace entre le destin et l’instant. C’est bien plus que cela. La pratique du tarot s’inscrit avant tout dans une démarche intellectuelle, et s’appuie sur une méthode d’analyse rigoureuse. Chaque carte est une œuvre à déchiffrer, chaque nuance une énigme.Faire un tirage, c’est déployer un langage secret, fait de couleurs et de symboles muets. Le tarot de Pamela Colman Smith, plus que tout autre jeu, exige une observation minutieuse, presque scientifique. Chaque détail, chaque expression, chaque interaction entre les cartes est un fil de lumière qui éclaire l’inconnu. Ce n’est pas un coup de tonnerre, c’est un raisonnement, une analyse, presque une dissection. Le tarot, c’est l’art de lire entre les lignes, de révéler ce qui est caché dans l’ombre, d’interroger le monde comme une peinture où chaque élément a son rôle à jouer.
Au-delà de cette lecture attentive, le tarot est aussi une expérience profondément humaine. Il éclaire nos doutes, nos aspirations, et met en lumière ce que nous préférons ignorer. Avant de toucher à l’occultisme, le tarot parle d’abord de nous. Lire le tarot, c’est faire face à ses vérités, dans toute leur complexité. C’est un acte de lucidité, une exploration subtile de nos forces et de nos fragilités. Ce n’est qu’en apprenant à tirer pour soi, à accueillir ce qu’elles dévoilent, que l’on peut commencer à décrypter le message des cartes pour les autres. Lire le tarot est une manifestation empathique, une ouverture vers l’autre, où l’on tente, à travers des archétypes évocateurs, de saisir un fragment de leur réalité. Il ne s’agit pas seulement de prédire l’avenir, mais d’offrir une clé de lecture, un éclairage. Le tarot, en fin de compte, est un langage universel qui aborde les grandes questions de l’existence humaine : l’amour, la mort, la peur, la joie, le doute, la quête de sens.
L’histoire du tarot est aussi marquée par des enjeux de pouvoir et d’influence. Autrefois réservé aux hommes, il était utilisé dans l’ombre par des figures comme François Mitterrand ou Christian Dior, non pour de simples curiosités, mais pour des questions de pouvoir, de trahison, de prévisions financières… Depuis l’Antiquité, les rois et les hommes de pouvoir ont toujours eu recours à des moyens de divination pour guider leurs décisions, que ce soit par le biais des sibylles, ces prêtresses mystérieuses, ou d’autres formes d’augures. Le tarot s’inscrit dans cette longue tradition d’un mediumprisé par l’élite pour sonder l’invisible et maîtriser le destin.
Le tarot, c’est l’art de lire entre les lignes, de rév...