Couv-Correspondance-avec

Zone Critique vous présente aujourd’hui Correspondance avec l’ennemi, un ouvrage écrit par l’un de nos contributeurs, Christophe Esnault qui vient d’être publié par les Editions Les doigts dans la prose. Ce recueil de lettres fictives est un hymne jubilatoire contre la misère ordinaire. Avec un style corrosif, l’auteur se déchaîne contre le consumérisme, la famille et le politiquement correct.

« Au Marché de la poésie, Je vais encore venir cette année. Pas pour acheter des livres (personne ne vient pour en acheter), ni pour les séances de signatures (puisque ça oblige à acheter des livres), ni pour votre scène lecture (j’ai autre chose à foutre). Je viens pour voir des potes et boire des godets ». La plume dévastatrice de Christophe Esnault n’épargne rien, et surtout pas la littérature. Ses épîtres vérolées feraient hurler plus d’un curé. Ses cibles favorites sont le conformisme ambiant et la molle bien-pensance. Plutôt que de s’en tenir à la moiteur d’un rapport sexuel convenu, l’auteur prône son goût pour le fist-anal et la sodomie. Au lieu de respecter la bienséance éditoriale, il attaque avec méchanceté et drôlerie certaines enseignes reconnues. Et si les multinationales sont souvent le réceptacle de ses supplications, ce n’est pas tant pour dénoncer les affres du capitalisme que pour décocher une volée de traits humoristiques. Enfin, alors que l’orgueil reste un défaut prisé par les écrivains, la principale victime de son ouvrage, c’est lui-même. Ses lettres dessinent en filigrane un autoportrait attendrissant d’un looser flamboyant. En effet, une certaine candeur émane parfois du texte, dissimulée par un enrobage d’acide et d’humour « Moulinex,Y avait pas trop de tendresse dans mon enfance mais heureusement, il y avait la purée de ma maman. Le moulin à légume Moulinex, les bonnes patates, le lait brûlant et la noisette de beurre, ça n’a pas réussi à m’empêcher d’être psychotique mais ça a réduit le clivage ».

Alors que l’orgueil reste un défaut d’écrivain, la principale victime de son ouvrage, c’est lui-même

Un livre défouloir

Pourtant, c’est le ton définitivement irrévérencieux qui domine, une violence dans l’humour presque choquante qui pourra rebuter les lecteurs sensibles. Les souvenirs d’enfance détournés abondent et un anathème est jeté sur la famille. Ainsi, dans une lettre adressée à son père, Christophe Esnault  se moque de l’inceste : « Je me souviens que le curé s’est évanoui dans le confessionnal quand je lui ai dit que frangine m’obligeait à l’enculer parce qu’elle était malheureuse depuis que tu ne la baisais plus ». Au moment où la liberté d’expression est au cœur de tous les débats, Christophe Esnault affirme plus que jamais une volonté de rire de tout, de rire contre tout, mais peut-être pas avec tout le monde… Qu’importe, ce pamphlet ouvertement humoristique prend le parti de rire des névroses plutôt que de les dorloter et les nourrir. Son humour grinçant peut choquer, il peut scandaliser mais il ne vous laissera pas indifférent. C’est un livre défouloir, un livre avec lequel on ne sait pas sur quel pied danser, et pourtant ce roman épistolaire invite à la réflexion, à la confrontation.

Enfin, lorsque l’auteur affirme  « Il y en aura bien un pour rédiger sur son blog une critique en français approximatif que je relaierai sur mon Facebook »,  il a peut-être raison puisque c’est ce que je viens de faire. Il ne me reste plus qu’à suivre son fil d’actualité…

  •  Correspondance avec l’ennemi, Christophe Esnault, Les doigts dans la prose,  15 mars 2015

Pierre Poligone