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Figures du minuscule, laissés-pour-compte de la société contemporaine, ruraux, vendéens. Avec Une vie de Gérard en occident, François Beaune fait entendre la verve truculente d’une certaine France.

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Janvier 2017

Dans les années 1980, Pierre Michon, Annie Ernaux ou encore Pierre Bergounioux renouvellent la forme du récit biographique en enquêtant sur leurs milieux d’origine pour tenter d’élucider leurs propres parcours. Dans une langue qui n’était pas la leur au départ, mais plutôt celle des élites et de la France cultivée, ils subliment des destins dérisoires, des Vies minuscules, que la littérature a, semble-t-il, souvent mis de côté.

Dans le livre de François Beaune, il s’agit moins d’être l’observateur que le spectateur du quotidien des « vrais gens ». Le sujet est pris à-bras-le-corps : on les laisse s’exprimer avec leur gouaille, leurs fautes de syntaxe, bref ce qui fait leur identité… Et leur charme. Mais au lieu de multiplier les interventions, toutes leurs voix s’unissent en la personne de Gérard.

C’est l’histoire d’un mec

Gérard est travailleur agricole à Saint-Jean-des-Oies, une bourgade imaginaire de Vendée, et, face à Aman, un réfugié érythréen qu’il héberge depuis peu, il raconte ses tribulations. De l’apprentissage de la boucherie jusqu’à la proche retraite, en passant par l’abattoir, la métallurgie, l’intérim, le récit de sa vie de labeur se déploie. Mais pas seulement. Dans des digressions inattendues, il confesse aussi des anecdotes extravagantes, parfois tragiques et désopilantes. On en retient des répliques tellement cultes qu’elles pourraient à elles seules constituer un recueil à la manière des célèbres Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio.

« Il paraît que l’Afrique c’est plus grand que sur les cartes. Nous les Occidentaux, on vit au centre du monde, et on trouve ça normal. »

« Dédé, comme c’était le plus élevé en hiérarchie scolaire, c’était toujours à lui qu’on demandait des trucs. (…) Il m’a fait lire Malraux, et puis Hugo et Sartre, le soir dans ma petite chambre, au-dessus de la charcuterie. À quinze ans, tu peux pas tout comprendre. »

« C’est peut-être ça, le bonheur, de pas avoir d’envies d’ailleurs. Tu trouves pas ? »

C’est sûr, le franc parler populaire ne manque pas de trouvailles ; il fourmille d’inventions langagières pittoresques. Naïve mais libre, approximative mais lucide, la parole de Gérard a quelque chose d’authentique, qui stimule l’imaginaire, et c’est un régal. Pas étonnant que ce livre soit à l’origine un projet théâtral. Le renouvellement de la langue et plus largement de la littérature est peut-être à chercher ici.

Angelina Bogliolo

  • Une vie de Gérard en occident, François Beaune, éditions Verticales, 288 p., janvier 2017, 19,50 euros.