Paru le 8 septembre, le nouveau bijou des éditions Seghers se lit comme il se regarde : souvenirs de Céleste Albaret, adaptés par Corinne Maier et dessinés par Stéphane Manel, Monsieur Proust est le nouveau roman graphique qui nous ouvre à la Recherche.

Adapté des mémoires de celle qui fut la gouvernante de Proust de 1913 à 1922, date de mort de l’auteur, le roman graphique des éditions Seghers fait la part belle aux traits de Stéphane Manel, dessinateur touche à tout et délicat, et à la plume de Corinne Maier.

C’est bien dans l’anecdote que se situe la portée intime d’un être, dans ce que son rapport au détail anodin infléchit d’une subjectivité épiphanique.

L’ouvrage nous plonge dans l’intimité de Céleste, ses souvenirs, pour mieux mener à un portrait tout en nuance de Proust : « Je m’appelle Céleste, née Gineste. Je me suis mariée avec Odilon Albaret le 27 mars 1913. Odilon était un garçon très gentil, avec un bon visage rond et de bonnes moustaches comme à l’époque. » Proust, et Paris, l’enfermement avec l’homme de lettres : « Quand je suis arrivée à Paris, je n’étais jamais sortie d’Auxillac, dans la Lozère. » Quelque chose d’emblée se joue d’essentiel pour cette jeune femme qui, si elle ne restera pas éternellement auprès de l’auteur de la Recherche, demeurera malgré tout marquée toute sa vie par ces quelques années à son service : « Est-ce que je pouvais me douter en me mariant que cela me mènerait à M. Proust ? » L’intimité manifeste est aussi celle de la création, d’un auteur, d’une époque : celle de la parution des textes de Proust, l’écriture, l’envers du décor, par le trou de la serrure. L’intimité encore, l’anecdote car c’est bien dans l’anecdote que se situe la portée intime d’un être, dans ce que son rapport au détail anodin infléchit d’une subjectivité épiphanique.

Démembrer, pour mieux revenir à une visualisation fugace de ce temps vécu et retrouvé.

Ce que réussit avec brio le roman graphique est avant tout de ne pas noyer Albaret sous Proust, ou plus précisément encore de se faire hommage proustien – l’enjeu est inévitablement là – sans pour autant que Celeste Albaret ne soit rendue à un rang exclusivement prétextuel. L’affaire est d’autant plus importante que, de l’avis de Jacques Letertre, Président de la Société des Hôtels Littéraires, qui nous recevait au Swann pour la soirée de lancement du roman graphique le 14 septembre, notre connaissance même de la fin de la somme proustienne, ne  serait qu’incomplète sans le concours de Celeste Albaret. L’éditeur Antoine Caro rappellera d’ailleurs qu’il s’agit aussi et surtout d’un « couple unique ». Il n’est pas inintéressant de rappeler du reste les conditions de l’élaboration d’une telle somme. Un travail certes long, qui aura impliqué une série de recoupes et d’adaptations du texte-source – celui d’Albaret – par l’autrice Corinne Maier, pour coller le plus justement possible aux dessins de Stéphane Manel. Si le trait du dessinateur comme l’écriture témoignent évidemment d’une subjectivité à l’oeuvre, l’effort malgré tout aura porté sur l’effacement de l’artificialité de l’objet, artificiel en ce qu’il porte de constructions et de créations. « Démembrer » donc l’ouvrage d’Albaret, comme l’indique Corinne Maier, pour mieux revenir à une visualisation fugace de ce temps vécu et retrouvé. Et de préciser enfin cette volonté à l’unisson de l’autrice et du dessinateur : Proust est un évident monument, mais un monument qui ne doit pas intimider. Aussi, l’un des désirs heureux, au coeur de leur travail, aura été de penser une manière d’entrer dans l’oeuvre proustienne, de révéler la création à l’oeuvre et d’ouvrir à l’univers de la Recherche, avec l’exigence du trait et du mot.