Patrice Jean

Les romans de Patrice Jean sont brillants, drôles et profonds. Pourtant, ils restent encore méconnus. Son œuvre répond aux vœux de Philippe Muray d’un « roman qui parle du monde. Et l’invente. Et le combat. Et s’en moque. Et le questionne ».  Chaque lecteur pourra y trouver son compte : une satire de l’enseignement dans Rééducation nationale, une réflexion sur la modernité et ses mirages dans La Poursuite et de l’idéal et L’Homme surnuméraire ou encore une parodie de la gauche radicale dans Le Parti d’Edgar Winger.

ZC : Vous décrivez, de façon très réaliste, certains milieux politiques, médiatiques ou littéraires tout en semblant vivre en retrait d’eux. Est-ce que vous les avez côtoyés ?

PJ : À partir du moment où l’on commence à avoir un certain âge, on a côtoyé suffisamment de personnes et de milieux pour en savoir assez sur eux pour les décrire. Mais il y a aussi une part de création : j’imagine ainsi ce que peuvent être les réactions d’un individu dans un contexte particulier. J’écris directement sans me documenter, en dehors de points précis (par exemple, dans La Poursuite de l’idéal, j’ai discuté avec des gens qui avaient travaillé dans des supermarchés pour avoir une idée de leur métier). Ensuite, j’écris en me concentrant sur les personnages, sur l’histoire. Il y a aussi certains formes d’expression que j’aime reproduire, comme l’écriture inclusive, il suffit de m’inspirer du quotidien et des mails que je reçois. Pour moi, c’est un langage stéréotypé et donc simple à reconstituer.

ZC : Écrivez-vous au fil de la plume ou avec un plan très précis ?

PJ : Quand on écrit un roman, tout ne peut tenir dans la tête de l’écrivain, avant qu’il écrive. Par exemple, j’ai écrit un épisode tiré de ma propre vie qui figure dans La Poursuite de l’idéal. Cette transfiguration n’était pas consciente. C’est seulement des mois plus tard que je m’en suis rendu compte. Lors de l’écriture, une sorte de barrière m’empêchait de m’apercevoir que j’avais transposé un événement tiré de ma propre vie.

De même, quand j’ai écrit ce roman je voulais un peu refaire Le Rouge et le Noir. D’où la figure du jeune homme issu d’une classe populaire qui gravit les échelons et des deux femmes. Pour accentuer  ce tropisme stendhalien, j’ai utilisé le procédé des notes de bas de page qui figure dans l’œuvre originelle. En réalité, je pensais m’inspirer du Rouge et le Noir, mais je suis allé vers Frédéric Moreau. L’inconscient joue son rôle. Donc, pour être plus précis, voici comment les choses se passent : je pars d’un personnage et d’une situation concrète, sans ces deux éléments, il m’est impossible de commencer un roman : le roman, par définition, est lié au réel, à l’individu, au singulier. Le plan m’apparaît à mesure que j’écris.

ZC : Peut-on dire que certains de vos héros sont des Bovary modernes dans la mesure où ils ont une grille de lecture du monde dépassée qui les empêche de le comprendre ?

PJ : Je suis d’accord avec l’appellation « Bovary moderne » pour certains personnages (Romain Bisset, Bruno Giboire), mais d’autres sont en désaccord affirmé avec leur époque (Cyrille Bertrand, Trézenik). Emma Bovary lisait les livres de Walter Scott dans une optique d’évasion, alors que  le héros du Parti d’Edgar Winger, Romain Bisset, a pour but d’agir sur le réel avec ses lectures. Sa grille de lecture le culpabilise et le gêne, notamment dans ses rapports avec les femmes.

ZC : C’est vrai que le héros n’assume jamais ses désirs pour des raisons idéologiques…

PJ : Mais ce  personnage n’existe pas a priori : il apparaît à mesure que le roman s’écrit. Ce qui m’amusait, c’était de montrer les contradictions de Romain, qui a des désirs comme tout le monde, et puis des météorites qui vont l’entraver dans la puissance de ses appétits. Ce que j’essaye de montrer, c’est l’aspect comique de ce jeu : je désire, mais je ne désire pas, est-ce que j’ai raison de désirer ?…

ZC : En ce qui concerne Le Parti d’Edgar Winger, est-ce que vous pensez qu’une personne  qui, comme le personnage principal aurait des convictions politiques et idéologiques très profondément ancrées, pourrait prendre un peu de recul en lisant votre roman ?

PJ : J’espère, car ce personnage n’est pas tout à fait un imbécile. Il est fanatique avec une grille idéologique qu’il applique à tout ce qu’il vit et voit, mais il réfléchit beaucoup (et mal, car réfléchir ne veut pas dire que notre pensée rejoint la réalité). Certains lecteurs, qui se déclarent pourtant progressistes, ont eu des réactions positives. Ils n’ont pas rejeté le livre en bloc. Un lecteur m’a même dit : « Je suis très à gauche, mais vous avez raison : il y a des choses à revoir chez moi. »

ZC : Dans la plupart de vos livres, vous posez frontalement la question des rapports entre  littérature et  la morale. Dans L’Homme surnuméraire, par exemple, vous soulevez la  question de la censure à travers une maison d’édition qui crée des versions expurgées des classiques de la littérature française.  Est-ce qu’un bon roman doit donc faire la morale ou doit-on laisser une part d’ambiguïté dans une œuvre littéraire ?

La littérature est le seul art qui donne vraiment accès à ce que chacun ressent, éprouve et pense en même temps, sans que cela soit vu d’une façon extérieure comme le font les sciences humaines et sociales.

PJ : Cela rejoint la question de l’objet de la littérature. Il y a les sciences humaines qui sont plus pointues pour étudier la société ; d’un autre côté il y a la psychologie qui peut aussi étudier l’être humain, etc. Je pense que la littérature fait la synthèse entre ces différents points de vue, ce que ne font pas les sciences humaines. Je crois aussi que la littérature est la voix de la vie intérieure. Il s’agit du seul art qui donne vraiment accès à ce que chacun ressent, éprouve et pense en même temps, sans que cela soit vu d’une façon extérieure comme le font les sciences humaines et sociales. C’est l’individu qui parle. Même le cinéma n’est pas vraiment ainsi : la littérature, c’est le seul moment où l’on ressent ce mixte qu’est la vie intérieure exprimée, mélange de pensées et d’affects. Pour moi, c’est ainsi que s’exprime la dignité de l’homme : s’il n’y a plus d’âme, il n’y a plus de littérature. La perception littéraire va de pair avec une certaine sensibilité qui s’efface dans un contexte scientifique.

ZC : Doit-on alors se débarrasser de la science ?

PJ : Par rapport à cette question, j’ai écrit un autre livre qui s’appelle Tour d’ivoire où j’analyse les rapports entre science et littérature : comment la première a pris le pas sur la deuxième et comment, à partir de la Renaissance, elles se sont développées jusqu’à aujourd’hui. De nos jours, on laisse à la littérature la portion congrue du divertissement : elle a perdu son objet, car les sciences humaines prétendent en dire beaucoup plus. C’est une question que je me pose dans ma pratique romanesque puisque je ne souhaite pas faire de pur divertissement. Mais il ne faut pas, évidemment, se débarrasser de la science, seulement ne pas lui accorder toute la place : l’art a autant d’importance qu’elle.

ZC : Parmi vos livres, quel est votre préféré ? Ou celui que vous considérez comme le plus abouti ? 

PJ : L’Homme surnuméraire, La Poursuite de l’idéal et Tour d’ivoire sont ceux que je considère comme les plus réussis. Les premiers romans que j’ai écrits étaient plus courts et vraiment satiriques. L’ensemble forme une sorte de comédie du monde contemporain avec un roman d’apprentissage, un roman sur l’Éducation nationale, un roman sur la politique, un roman sur le politiquement correct, etc.… Je varie les milieux pour ne pas me répéter, car je pourrais, au fond, toujours écrire le même livre. J’essaie d’analyser l’âme humaine à travers différents contextes. C’est plus elle qui m’intéresse que le milieu. Je pense que les structures sont toujours un peu les mêmes, que l’on soit en entreprise ou à l’Éducation nationale, on retrouve le snobisme, la domination, la courtisanerie… J’ai utilisé les milieux que je connaissais, mais je commence à avoir épuisé le stock.

ZC : Des personnages de poètes hantent votre œuvre : Edgar Winger (Le Parti d’Edgar Winger) écrit des poèmes et Cyrille, de La Poursuite de l’idéal, a une ambition flaubertienne d’être poète. Ils sont souvent minoritaires et ne sont jamais totalement ridicules, malgré leur aspect comique évident. Est-ce que vous pensez que la poésie est encore possible aujourd’hui ? 

PJ : Le problème de la poésie aujourd’hui, c’est le lectorat. Il y a plus de poètes que de lecteurs. La Poursuite de l’idéal était un peu une réponse à Kundera qui, dans La Vie est ailleurs, condamne la poésie, vue comme l’expression d’une vie lyrique à laquelle il oppose une littérature équivoque et ironique. Avec ce roman, j’avais envie de montrer qu’un jeune homme peut aimer la poésie sans être complètement emporté par le lyrisme. Je lis beaucoup de poésie. C’est aussi important que le roman. Pour moi, ce qui est important dans la vie, c’est de vivre des instants poétiques. Cela peut être en se promenant : dans La Poursuite de l’idéal, lorsque les personnages sont à Naples, ils fument une cigarette en se recueillant près la tombe de Leopardi. Pour moi, il s’agit d’un instant poétique. C’est cela que je recherche dans la lignée des surréalistes. On peut le trouver dans le roman.

ZC : Dans L’Homme surnuméraire, il y a un personnage professeur d’université qui fait la critique du livre dont il est question dans le roman. Quel est, pour vous, le rôle de la critique, surtout universitaire ?

Je crois que le roman peut en dire plus sur l’existence que l’essai, parce qu’il inclut la sensibilité et la vie des personnages

PJ : La critique universitaire est importante, car elle prend au sérieux la littérature. Elle me semble être dans une position ambiguë : elle prétend (parfois) surplomber les œuvres et les auteurs pour en dire la vérité ; et, d’autres fois, elle sacralise un écrivain, un texte. De même, elle balance entre la science et la littérature. Un universitaire qui publie un essai est-il apparenté à ses confrères des sciences humaines, ou bien un écrivain qui écrit sur d’autres écrivains ? Le roman que vous citez retourne les armes (le regard « objectivant ») sur la critique universitaire : certains professeurs jugent les romans, les expliquent, etc., eh bien, à mon tour, je vais les « objectiver » dans un roman, les mettre en scène : je trouvais ça amusant. Je crois que le roman peut en dire plus sur l’existence que l’essai, parce qu’il inclut la sensibilité et la vie des personnages (quand l’essai en reste au niveau des idées). Pour faire vite, disons qu’il est « englobant » (je n’aime pas ce mot).

ZC : Dans L’Homme surnuméraire, on trouve une mise en abyme inattendue : le personnage de la seconde partie du roman est le commentateur de la première partie. Aviez-vous en tête de recourir à ce procédé lors de l’écriture de votre roman ?

PJ : Non, je n’y pensais pas en amont. Cependant, je pense qu’aujourd’hui, on ne peut pas écrire de roman sans réfléchir à la place de la littérature. La réflexion sur cette dernière existe dès son origine, mais elle prend une tournure différente aujourd’hui dans la mesure où la littérature ne va plus de soi, elle n’a plus la même aura. Quand j’écrivais les premières pages, je me disais que je voulais intégrer une réflexion sur la littérature. J’ai alors eu l’idée de cette mise en abyme, en sorte que le roman intègre la critique universitaire, laquelle, à son tour, est perçue selon la logique romanesque.

ZC : On peut avoir l’impression, en vous lisant, qu’il s’agit d’une littérature adressée à un public masculin. Est-ce que vous pensez que c’est le cas ? Les héros sont tous des hommes qui ont ce que l’on pourrait appeler des “problèmes d’hommes” : la sexualité, l’obsession pour les femmes…

Aujourd’hui, on ne peut pas écrire de roman sans réfléchir à la place de la littérature.

PJ : Il y a beaucoup de femmes, et même de jeunes femmes, qui apprécient mes livres.  Mais, pour aller dans votre sens, je pense qu’on peut parfois parler de public féminin ou de public masculin. Certaines romancières écrivent, par exemple, en s’adressant d’abord à une lectrice. Je pense que, dans mon cas, il est possible qu’il y ait plus d’hommes que de femmes qui lisent mes livres, mais c’est seulement une intuition. Au fond, je n’en sais rien. J’écris pour un lecteur inconnu et une lectrice inconnue, en souhaitant (au moins) être compris.

ZC : Dans votre œuvre, les idées reçues sont, le plus souvent, très critiquées et tournées en ridicule. À la fin de certains de vos livres, il s’agit cependant de la seule sagesse dont peuvent se prévaloir vos héros. Comment est-ce que vous différenciez ces deux formes d’idées reçues ?

PJ : J’aime bien ces personnages un peu “beaufs” que l’on peut trouver dans L’Homme surnuméraire à travers la figure de Chauvin par exemple. Il ne se fait aucune illusion sur lui-même. Il aime le foot, les filles et ça ne va pas plus loin. Il n’a aucune prétention. Ce  que je n’aime pas, ce sont les idées reçues à la mode, car les gens les formulent et les reprennent par distinction, comme dirait Bourdieu. Ils pensent qu’ils sont valorisés alors, qu’en vérité, ces idées sont souvent stupides. Entre le plouc, comme Chauvin, et le snob, je choisis le premier. On peut parler de sagesse de beauf, d’un certain bon sens. Mais il faudrait entrer dans le détail : c’est pourquoi j’écris des romans.

ZC : Cette idée, appliquée à l’écriture elle-même – je pense notamment à une phrase dans Le Parti d’Edgar Winger : « J’étais fasciné par sa nuque, plus nue qu’une naïade endormie près d’une fontaine (je ne rature pas cette image bébête qui témoigne de l’état d’amollissement cérébral dans lequel j’étais). » – montre une forme de distanciation. On se moque du héros qui se flagelle d’utiliser une image aussi médiocre. Est-ce que, dans votre écriture, vous tolérez l’utilisation du cliché ?

PJ : De façon consciente uniquement. Baudelaire disait que le génie, c’est d’inventer un lieu commun. Dans L’Homme surnuméraire, il y a le passage écrit par la romancière Léa Lili qui est un pastiche de l’écriture blanche. Elle devient une sorte d’écriture stéréotypée à la Duras. Elle dit même qu’elle ne veut pas faire de littérature, mais plutôt de la sociologie. À cette figure, j’oppose des images, une ironie et un certain lyrisme.

ZC : Vous changez souvent de mode d’écriture : journal, récit à la troisième personne, changement de narrateurs, etc. Pourquoi cette diversité ?

La littérature, c’est de l’ironie et de l’humour : il faut choquer et provoquer.

PJ : Je ne veux surtout pas ennuyer le lecteur ! De la même façon, j’ai parfois peur d’ennuyer mes élèves ou de m’ennuyer moi-même lorsque j’écris. J’écris donc de manière variée pour éviter cet écueil. À chaque page, j’essaye de trouver quelque chose qui va retenir l’attention du lecteur et qui va lui donner envie de continuer sa lecture. Quand je lis certains romans, j’ai l’impression que leurs auteurs ne se posent pas la question de l’ennui… La littérature, c’est de l’ironie et de l’humour : il faut choquer et provoquer. En plus, maintenant les gens lisent avant de dormir alors il faut essayer de les réveiller !

ZC : La sexualité est très présente dans votre œuvre, mais elle est souvent empêchée : soit par une cause extérieure, soit parce qu’ils se l’interdisent. On a l’impression, dans le même temps, que c’est quelque chose qui peut sauver les hommes. Est-ce une voie de salut ?

PJ : C’est aussi un procédé narratif qui rejoint la question de l’ennui évoquée précédemment : si le personnage couche tout de suite avec celle qu’il désire, la quête amoureuse a moins de raison d’être. J’ai eu envie de décrire toute la tension qu’elle peut susciter : les premiers rendez-vous, etc., mais aussi de donner aux lecteurs l’envie de lire pour savoir ce qu’il va se passer.

On me fait fréquemment la réflexion inverse d’ailleurs : je parlerais trop de sexe. Il est vrai que dans Tour d’ivoire, il y a un chapitre intitulé « Le sexe ». Ainsi, lorsque j’écrivais La Poursuite de l’idéal, j’avais ce reproche en tête, ce qui a pu influencer ma façon d’écrire. – Mais la sexualité n’est pas un salut.

ZC : Qu’en est-il de votre vision du couple ? Dans vos romans, ils sont souvent dysfonctionnels et succombent à l’ennui après des années de vie commune. On ne peut donc pas imaginer un amour heureux ?

PJ : Je vois bien qu’il y a des couples qui fonctionnent. Il y a beaucoup de couples qui se font et se défont dans mes livres. Mais pour moi, l’usure est une évidence. Il y a un moment où cela se produit : l’amour se transforme en autre chose après l’exaltation des débuts. Ce qui est difficile, c’est de vivre toute une vie sans revivre cela, ce qui explique qu’on soit attiré par d’autres personnes. J’ai l’impression que l’amour aujourd’hui est la dernière aventure car il n’y en plus d’autres : la planète est quadrillée, googlisée, les voyages sont organisés… L’amour reste un moment d’incertitude, d’équivoque et d’ambiguïté, voire de folie.

ZC : Vous êtes professeur de lettres. Quand on vous lit, on a l’impression que vous êtes en désaccord avec certaines orientations de L’Éducation nationale. Pourtant vous n’avez pas démissionné de votre poste de professeur de lettres, pourquoi ? Pensez-vous que la littérature peut encore sauver les hommes ?

PJ : Oui certainement. Une sorte d’habitude s’est créée : j’y vais sans déplaisir, car j’aime bien les élèves, certains collègues et j’aime ce dont je parle. Par exemple, en ce moment, j’étudie Balzac avec mes élèves. Quel autre métier permet de parler de cet auteur dès 8 h du matin ? En revanche, je n’aime pas du tout un certain nombre de choses. Dans l’Éducation nationale, entrent des jeunes gens qui ont fait des études plutôt brillantes, en général passionnés par leur discipline. On les retrouve cinq ou dix ans plus tard et ils ne parlent plus que d’élèves et de cours. On a l’impression qu’ils ont été dévitalisés de l’intérieur pour devenir des espèces de fonctionnaires qui ne s’intéressent plus à rien, même plus à leur discipline.  En ce qui me concerne, je suis plus ancré dans l’écriture que dans l’enseignement. Si je le pouvais, j’arrêterais d’enseigner pour m’y consacrer entièrement.

ZC : Pour vous, quel est le principal problème de l’Éducation nationale ? Que faudrait-il changer pour que ça marche un peu mieux ?

PJ : J’ai l’impression que les élèves s’éloignent de plus en plus de la culture. Ils dérivent vers autre chose, notamment vers internet, les réseaux sociaux… C’est de plus en plus compliqué de les ramener vers la pensée. J’avais pensé à une solution : arrêter d’avoir des classes de 34 ou 35 élèves, et les remplacer par de petits groupes de cinq ou dix élèves dont on s’occuperait pendant un mois. Un mois en français, un mois en histoire, un mois en maths, etc. On leur donnerait des conseils, on serait dans un rapport d’intimité avec eux, ce qui est essentiel : La littérature, c’est un rapport d’un individu à un individu. Le reste de l’année, on continuerait de les voir, une journée par mois, on corrigerait leurs travaux, on les guiderait par des lectures.

ZC : Pour conclure cet entretien, nous voulons vous demander quels auteurs de littérature contemporaine lisez-vous ? Lesquels conseilleriez-vous à nos lecteurs ?

PJ : Je peux conseiller Benoît Duteurtre, Pierre Bergounioux, Milan Kundera ; J’ai beaucoup aimé Le Triomphe de Thomas Zins de Matthieu Jung que je tiens pour un très grand roman. Michel Houellebecq également, même si ses derniers livres m’ont moins convaincu. Et il y aussi les « écrivains maudits » du temps présent, comme Renaud Camus ou Richard Millet, que beaucoup vouent aux gémonies sans les avoir lus. Quelqu’un comme Bruno Lafourcade (avec qui j’entretiens une correspondance depuis plusieurs années) est un véritable écrivain. Mon ancien éditeur, Jean-Pierre Montal, publie des romans mélancoliques très subtils. Je pense aussi à Éric Chevillard, l’écrivain le plus original de notre époque, le plus inventif, ou bien à Éric Laurrent. J’aime beaucoup les aphorismes de Jean-Pierre Georges, et, comme vous le voyez, je pense que la littérature française de notre temps  n’a pas à rougir des siècles passés. Ainsi soit-il.

Bibliographie indicative : 

  • L’Homme surnuméraire, Rue Fromentin, 
  • Tour d’ivoire, Rue Fromentin, 2019, 248.
  • La Poursuite de l’idéal, Gallimard, coll. « Blanche », 2021.
  • Le Parti d’Edgar Winger, Gallimard, coll. « Blanche », 2022.
  • Rééducation Nationale, Rue Fromentin, 2022.
  • Louis le Magnifique, Le Cherche Midi, 2022.

Propos recueillis par François Bergerol, Pierre Poligone, Raphaël Sitruk et retranscrits par Julie Manhes

Crédit photo : Patrice Jean. Photographie de Benjamin de Diesbach © L’incorrect