Ariane Louis-Seize, la réalisatrice du charmant Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, a accepté de nous rencontrer pour évoquer son traitement joyeux de la mort et sa relecture pop du mythe du vampire.
Zone Critique : Votre premier long-métrage est un film de vampire. Comment avez-vous envisagé le travail de renouvellement d’un genre qui peut paraître éculé ?
Ariane Louis-Seize : Faire un film de vampire, c’est parler de la société dans laquelle on vit. Je voulais qu’on s’attache à ces personnages, que l’on puisse s’identifier comme s’il s’agissait d’êtres humains. J’ai travaillé à partir d’un équilibre familial fragilisé par des problèmes de vampire. Ce sont les mêmes dynamiques sociales qui se reproduisent dans leur monde : on retrouve par exemple la question de la charge mentale qui pèse sur les femmes. Je voulais que la différence de Sasha relève d’une difficulté assez ordinaire. C’est une vampire vegan. Comment composer avec le reste de la famille ?
En l’humanisant, vous la rendez paradoxalement inoffensive.
Son problème paraît insoluble : une vampire désire être humaine. En fait, Sasha est habitée par une contradiction et doit se battre contre elle-même. Elle ne peut nier aucune des deux facettes de sa personnalité. Avec le biais du suicide assisté, on peut dire quelque chose d’intéressant sur la violence que Sasha refuse d’exercer. Aller chercher des gens en fin de vie devient un moyen de perpétuer le cycle, d’assurer sa survie à elle. La mort est ramenée dans le cycle naturel de la vie.
Par ailleurs, les vampires sont souvent des êtres hyper sexualisés, très charnels. Les sujets de la mort, de l’amour et du sexe sont interreliés. Le vampire est une figure attirante et dangereuse à la fois. Cette dichotomie m’intéressait pour fouiller dans des zones grises. Ici, mon personnage est une jeune fille maladroite, comme on peut l’être dans des expériences banales de première fois. Je voulais faire un parallèle entre ces dents qui refusent de sortir et l’impossibilité qu’elle ressent à exprimer son « vampire intérieur ». Je n’avais jamais vu de vampire un peu maladroit avec leur corps et leur sexualité au cinéma. Le sujet du consentement est également abordé en filigrane. Lorsqu’elle rencontre Paul, Sasha l’envisage d’abord comme une possibilité éthique de se nourrir. Elle cherche une personne qui accepte de donner sa vie, qui serait consentante. Il apparaît comme une solution à son problème.
Comment avez-vous trouvé Sara Montpetit ? C’est une actrice très charismatique, à l’allure un peu punk. Elle donne une dimension mélancolique au personnage.
J’avais eu l’occasion de voir Sara Montpetit dans d’autres films et je lui trouvais une aura de mystère tout à fait fascinante. Elle a aussi quelque chose de très tendre. J’aimais sa présence envoûtante qui la rend insaisissable. En même temps, elle donne le sentiment d’avoir une vieille âme. Lorsque nous avons fait les auditions, j’étais curieuse de voir si elle avait de l’humour. Je l’ai trouvée très drôle mais d’une façon inattendue. Cela se manifestait par un sens très subtil du rythme, quelque chose se jouait dans ses silences.
Le personnage de Paul est comique lui aussi ! On a le sentiment d’un film très ouvert, qui aurait été vraiment fabriqué avec le concours de vos interprètes.
Je n’avais personne en tête pour le personnage de Paul. Et puis quand on cherche un jeune acteur, on ne s’attend pas à ce qu’il maîtrise d’emblée un rôle de composition. Félix-Antoine Bénard est arrivé avec une idée déjà très précise du personnage. Je l’avais imaginé comme un jeune homme neurodivergent sur le spectre autistique, sans jamais utiliser ce lexique. Or, Félix-Antoine était parvenu aux mêmes conclusions : j’ai eu le sentiment de rencontrer mon personnage. L’audition croisée des deux interprètes m’a permis de voir ce qu’allait être le ton du film. Ils ressemblaient à deux petits êtres étranges mais pas pour les mêmes raisons. C’est ce que l’on voit dans la scène avec la chanson de Brenda Lee, avant que Sasha n’essaye de mordre Paul. Ils amenaient un côté off beat, attachant et drôle. Je voulais leur laisser la place pour explorer leurs personnages, entrer en dialogue avec eux et ouvrir un espace de création. Je tenais à ce qu’ils contribuent activement à l’œuvre.
Vous parliez de tonalité. L’atmosphère est très singulière. Vous construisez un monde ordinaire finalement et très familier qui paraît pourtant hors du temps.
Je voulais que le film soit ancré dans un quotidien sans perdre sa force d’envoûtement. C’est ce qui a déterminé le choix du format et de la texture de l’image, des costumes. Je voulais jouer avec les époques et apporter une dimension nostalgique. Je pensais beaucoup à une banlieue anonyme qui aurait pu se trouver n’importe où. J’ai grandi dans ce genre de lieux et ils m’ont toujours paru figés dans le temps. Les distances sont plus grandes, les gens se rassemblent au hasard. Au Québec par exemple, on se retrouve autour du « dépanneur » – c’e...