Paru aux Presses du réel dans la collection « Al Dante », Du concept de féerie est un texte de Benjamin Fouché qui s’attache à déconstruire le simulacre du discours normé par le renversement de sa dimension aliénante. Ce faisant, il déploie une autre voie du merveilleux, qui emprunte à la parodie et l’essai, autre voie en ce qu’elle manifeste l’inanité du cela-va-de-soi de ces histoires que l’on se raconte pour assurer l’arbitraire du progrès et de l’Histoire.
Vif texte que celui de Benjamin Fouché, comme une série de propositions, fragments, aphorismes, qui emprunte à la langue réelle, concrète et quotidienne – notamment par ses références à des figures assez peu méconnues comme E. Macron ou Jean-Michel Blanquer, mais Total n’est pas en reste – sa force de frappe : il déploie, retourne, renverse et suscite la puissance du rire. Non pas que le texte s’attache à construire un art humoristique quelconque mais le rire est là, d’une part dans la connivence heureuse de lire la liberté d’écrire, d’autre part, et surtout, dans l’éclat de rire libérateur qui démasque la supercherie du faux qui nous gouverne.
« telle fiction (soit sept nains soumis aux cadences infernales de l’intérim sept nains séquestrant dans leur cabane un supplément d’âme à savoir une gamine pure et domestique qui embellirait la reproduction de leur force de travail) telle fiction prend consistance dans ces gros bunkers postmodernes et que financent des milliardaires qui payent moins d’impôts en domestiquant l’art »
Telle fiction que celle qui nous gouverne, d’un Pôle Emploi à une France Travail, qui œuvre à ses propres mythologiques à même d’assurer le maintien d’un pouvoir vacillant et construit sur le bluff de sa propre supercherie. Telle fiction celle qui détourne les soupires de la fée et rit.
De quelques mythologies qui gouvernent, contes pris pour cons d’une enfance qui et déresponsabilise et sur-responsabilise l’individu en régime libéral :
« Raiponce forme une dialectique rudimentaire : des nattes tombent au sol et des corps se soulèvent, rampant debout. »
Et pourtant
« Raiponce n’a aucun charme particulier et ne connaît qu’un geste banal : elle dénoue et relie (sa valeur d’usage peut-être.) »
mais elle ouvre le rêve d’une libération impossible. De quel Prince Président « vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissés… ! Mais n’allez pas lire ici une condamnation de l’enfance, plutôt le déploiement d’une imaginaire inépuisable et secourable. Là où l’inactuel demeure le transhistorique – et de nous laissez rêvasser à ce que passe enfin l’indigeste actualité.
« (Sous l’énorme tas de dettes et de plus-values sous le sédiment des traditions des inerties institutionnelles, derrière les formes fantastiques de la marchandise : le sentiment historique d’une enfance.)
(Un sentiment a-subjectif et purement ondulatoire). »
D’un a-subjectif, arrimant à l’in-objectif de Le Brun, Annie, notre sœur Annie, voyant bien venir. Et de cette ondulation dire le charme émancipateur – c’est mettre du mou, du jeu, que jouer la spatialité d’une émancipation, écrit Juliette Riedler à L’Extrême contemporain – en ce qu’il est la plus belle négation du rouleau compresseur du capital. C’est-à-dire qu’à défaut d’une lutte, qu’il faut mener malgré tout, surtout de classes, l’ondulation nous agite en biaisant, esquivant, niant, et c’est encore là un éclat de rire féroce que celui rendu au visage du Puissant que l’on aurait esquivé sans qu’il n’y prenne garde.
« Nous nommerons enfance commune une forme poreuse instable plurielle. Soit un dispositif assez indéfini pour produire des machines sœurs. Des machines de guerre ou des formes qui passeraient à l’acte. »
Machines de guerre comme forme de l’acte, comme incarnation et geste du devenir-ondulatoire, serpenter dans les dédales du pourri pour ouvrir les brèches et d’autres féeries. Dans l’affleurement, la rencontre, le lien. Ou, comme écrit Bataille dans Le Coupable : « L’essentiel est l’instant de violent contact, où la vie glisse de l’un à l’autre, dans un sentiment de subversion féerique. »
Ondulatoire encore au gré du discours qui happe et enferme /« Il paraît que ça n’est pas des vrais syriens. Juste des roms. On dit aussi que leurs gosses volent dans le métro. »,
Ondulatoire encore la scène qui s’ouvre et se répand, la contagion en jeu de la bouche qui dira l’an-historique et l’in-objectif comme une proposition et une promesse, renversement même du discours qui ronge comme un anti-mythe / « Les mots toujours pris dans vos nasses. Et combien vous les mastiquez pour les réduire en bouillie, combien vous les mâchez à sens unique, combien ça fait grouiller vos gencives, tous ces mots réduits en signes combien ça pullule entre les dents et ça étouffe, voilà c’est fait. »
Comme une manière de / « Se réapproprier l’espace à coups de formes mineures. »
Éclater encore le devenir multiple
« Face à la bourgeoisie qui s’est rendue maîtresse de l’espace, qui en a fait une force productive, il manque encore une enfance à faire une enfance qui s’affronte dans cette production, qui s’entête et qui se bouleverse en changeant la ville, – enfance sans être ni propriétés, à la limite du fait, de l’événement, à la limite de l’action des corps : souple élastique animale –, une enfance tactique prolétaire, aussi fluide et dynamique que le capitalisme lui-même. »
D’une élasticité renversante retrouver le corps érotique de l’émancipation, tapant du pied contre le « cubisme kitch pour VRP sentimental », mais taper du pied parce que réapproprie l’espace, ça le désigne comme espace où se jouer brasier, autrement
« Vous dites Kaspar tu dois toujours regarder le sol. Kaspar serre la ceinture et marche droit. A quoi bon ? Vous piétinez les gosses et les pâquerettes, vous gazez les abeilles, les pucerons, les gens qui dansent au bord de l’eau. Vous trucidez même les vers de terre. Tout va s’éteindre sur votre sol. J’en ai les pieds qui brûlent, ça vous fait rire comme des hyènes et vous dites Kaspar ne pleure pas sinon tu n’auras pas de cheval. Gardez-le votre cheval. Je préfère encore bouffer des véroniques par la racine, mais vous devoir quelque chose, ça non. »