Depuis quelques mois, en compagnie de son compatriote Michel Pimpant, il secoue le cocotier littéraire en réécrivant des grands classiques de la littérature avec un argot contemporain. Zone Critique est parti à la rencontre de Quentin alias Valtudinaire l’un des deux fondateurs du tumblr Les Boloss des Belles Lettres. La personne toute indiquée pour se pencher sur les rapports qu’entretient aujourd’hui notre société avec le langage et la lecture.
Zone Critique: Très brièvement d’abord pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, pourrais-tu nous expliquer comment est né le projet des Bolos des Belles Lettres ?
Quentin : Le projet est d’abord né sur Twitter entre moi et mon compatriote Michel Pimpant. Nous nous sommes rencontrés via ce réseau car nous y parlions tous deux beaucoup de littérature, moi en publiant de nombreuses citations, et Michel à travers le pastiche. Je sentais qu’il avait un arrière-plan littéraire, sans trop le connaître pour autant.
Nous avions déjà travaillé autour d’un projet commun, L’encyclopédie géniale qui parodiait L’encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Et donc j’ai eu cette idée-là de résumer des œuvres classiques, au début en deux ou trois paragraphes et de manière assez décomplexée, sans pour autant se focaliser nécessairement sur l’argot contemporain.
Quand on regarde Madame Bovary ou La divine comédie, nos premiers textes, c’est en effet beaucoup plus sommaire que ce que nous faisons actuellement. L’argot se résumait simplement à l’utilisation de quelques termes du style « Zouz » ou « Keum ».
Avez-vous amené certaines personnes à lire ? Avez-vous eu par exemple quelques retours de gens vous remerciant de leur avoir fait découvrir telle ou telle œuvres ?
Quentin : Malheureusement non, nous n’avons pas reçus de mails de ce genre. On a parfois aperçu des tweets ou des messages sur Facebook disant : « Ça donnerait presque envie de le lire ». Après, dans les milieux scolaires, au collège comme à l’Université, certains professeurs utilisent nos textes, aussi bien pour des phases d’approche que pour démontrer que la littérature peut être abordée d’une manière différente. Les élèves semblent très réceptifs à cela.
Je ne dirai pas que c’est normal mais ça fait toujours plaisir de voir un auteur qui nous gonfle être un petit peu brocardé. Donc je pense qu’il y a quelque chose comme un plaisir un peu cathartique derrière tout cela. Je ne suis pas sûr en revanche que nos textes poussent à la lecture. C’est un peu dommage, mais en même temps ce n’est pas notre visée : je ne crois pas que les gens se disent, en nous lisant « Ah oui, tiens, il à l’air excellent ce roman ! ». Peut-être se disent-ils que l’histoire pourrait-être agréable, mais, comment dire, nous dévoilons tellement peu de ce que contiennent ces chefs-d’œuvres à travers nos pastiches.
La force de ces grands romans-là tient pour une petite part à leur histoire, mais celle-ci n’est pas grand-chose, c’est peut-être simplement l’armature qui fait tenir le reste de l’oeuvre. Nous, on ne se sert que de la surface la plus superficielle du roman, c’est à dire sonhistoire.
Certains professeurs utilisent nos textes pour démontrer que la littérature peut être abordée d’une manière différente
Effectivement, lorsque je vais sur votre site, je me dirige prioritairement vers les œuvres dont je connais l’histoire. Les Boloss des Belles lettres est donc un tumblr destiné d’abord à un public de lecteurs avertis ?
Disons que les œuvres que nous reprenons sont si puissamment entrées dans l’inconscient collectif que si l’on révèle leurs fins, ce n’est pas important d’une part car l’histoire n’est pas ce qu’il y a de plus fondamental, et ensuite parce que l’on considère d’emblée que ce sont des œuvres qui sont lues, ce qui démontre donc en passant notre absence totale de visée pédagogique ! Notre tumblr peut donc éventuellement aider à décomplexer la lecture, mais amener les gens vers elle c’est une autre paire de manche ! C’est très dur d’amener quelqu’un à lire.
Je ne crois pas que les émissions littéraires actuelles tirent vraiment qui que ce soit vers la littérature. Elles mènent sans doute à certaines œuvres, mais des personnes qui lisent déjà. C’est une entreprise très complexe de dire à quelqu’un qui ne lit pas d’ouvrir un roman. Je n’ai pas la réponse. Quelqu’un qui se dit: « Tiens, et si je regardais la grande Librairie ce soir ?» sans avoir jamais écouté aucune émission littéraire précédemment, c’est un cas de figure strictement improbable.
Je ne crois pas que les émissions littéraires actuelles tirent vraiment qui que ce soit vers la littérature
Avec la littérature, on reste confiné dans les mêmes cercles. Mais il va cependant bien falloir trouver une alternative un jour, car à la longue à force d’y rester les cercles justement s’usent. Il faut qu’il y ait une rotation, et s’il n’y a pas de nouveaux lecteurs, et bien les anciens meurent tout simplement.
Mais n’est-ce pas justement en décomplexant le langage qu’on amène à lire ?
Quentin : Non, je ne crois pas. Cela amène des jeunes à en parler, et permet de faire circuler la littérature mais pas à lire. J’aimerai beaucoup, mais ce serait un peu utopique. L’élève qui se dit qu’il va lire Madame Bovary parce qu’il a trouvé drôle notre résumé, il se prend simplement un gouffre dans la tête !
Où puisez-vous votre inspiration linguistique?
Quentin : D’abord, Il y a mille façon de parler des grands classiques, et l’on s’est justement dit: pourquoi pas de cette façon-là ? Qu’à-t-elle de moins légitime qu’une autre ? Pourquoi cela ne passerait pas mieux qu’autre chose ? Je pense que nous avons trop tendance à avoir un discours normé et universitaire un peu pompeux sur certaines œuvres N’y a-t-il pas un moyen d’en parler autrement ? Voilà ce que nous nous sommes dit.
Nos influences linguistiques sont ensuite diverses. Nous avons tous les deux une forte base internet. Il y a notamment tous les gimmicks que l’on reprend sur les réseaux sociaux. Et puis bien sûr il y a beaucoup de créations littéraires de notre part.
Enfin, des influences littéraires nous en avons mais qui ne jouent pas sur notre travail. Raymond Queneau par exemple est quelqu’un qui se rapproche de nous avec ses Exercices de style, mais nous ne sommes pas influencés par lui. Nous n’utilisons simplement plus la même langue. Lorsqu’il écrit avec l’argot parisien dans Zazie dans le métro, ce n’est tout bonnement plus la langue que nous utilisons aujourd’hui. D’autant plus que lui utilise cela à des fins littéraires, tandis que nous utilisons ce travail de la langue à seule finalité humoristique. Nous n’avons pas de prétentions littéraires.
C’est dommage, mais il semble que les gens ne parlent plus beaucoup de littérature entre eux aujourd’hui
Vous ne considérez donc pas votre travail comme proprement littéraire ?
Quentin : Non, il serait plus proche d’une caricature langagière de l’époque contemporaine. On est très loin de la littérature.
Pourquoi ne faites-vous pas de caricatures d’auteurs contemporains?
Quentin : Lorsqu’on a commencé les Boloss on ne voulait pas parler de littérature contemporaine. Elle a son public, qui est certes un peu faible, mais elle vit, alors que la littérature classique se meurt dans notre société.
Dans la société, c’est-à-dire dans le journalisme, les médias ?
Quentin : Oui dans les médias, mais également dans les conversations à bâtons-rompus entre les gens : c’est dommage, mais il semble que les gens ne parlent plus beaucoup de littérature entre eux aujourd’hui.
Merci pour cet entretien Quentin. Pour les lecteurs de Zone Critique, aurais-tu un livre, un film et un album de musique à recommander ?
Quentin : Alors, je ne vais pas en conseiller un seul mais plutôt trois, c’est la trilogie Faire l’amour, Fuir et La vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint. C’est très éloigné de ce qu’à fait Toussaint auparavant. Ces romans sont sortis entre 2002 et 2009. Cela fait bien longtemps que je ne suis pas allé au cinéma. Bon, je ne l’ai pas vu récemment mais si je devais donner mon coup de cœur, ce serait Mon voisin Totoro. Enfin, je vous recommande le dernier album de Mendelon qui est un groupe de rock à texte français qui existe depuis 1997.
Propos recueillis par Sébastien Reynaud