Trois actualités poétiques, trois maisons : l’occasion en des tardifs printemps de présenter ces explorations de nos rapports au monde, des nos peurs à nos luttes, de nos deuils à nos émancipations. Trio à l’honneur donc, avec Topologies, contes d’Athènes, de Joanna Dunis, au Castor Astral ; Tantôt, tantôt, tantôt, de Virginie Poitrasson au Seuil, et La Petite Ouvrière métisse de Sandrine Maline Charlemagne chez La rumeur libre éditions.

Du premier recueil de Joanna Dunis, Topologies, contes d’Athènes, paru le 11 mai chez Le Castor dire qu’il déploie la prospection émue de soi et de l’outre-soi dans cette topologie des villes, comme une itinérance sensible qui rencontre, élégiaque, le deuil du père.

« Recueillir, témoigner

Une histoire-tapisserie et des mailles qui, d’écho en écho,

se renforcent. »

Tapisserie qui se tisse au gré des pérégrinations, des visages et des lieux rencontrés, de ces lieux qui sont autant d’espaces historiques que culturels :

« Au-delà d’Anafiotika est monté le chant solitaire d’une vieille femme qui, j’ai eu envie d’imaginer, se languissait de son île lointaine, cœur brisé priant pour un retour prochain. »

Délicatesse de la poésie qui cherche sa propre voix – la trouve ! – comme cheminement de cette topologie ouverte, voilà

« Athènes –

Que dire ? Que raconter ? »

là où

« Il faudrait un aède

Pour décrire la blessure

Tandis que les mots – le tuyau

Sortent des égouts. »

Poésie qui transpire de la terre, secouée par la poussière même des pas qui se dispersent

« La chaleur de l’envie –

Mes caresses plus pressantes sur ton ventre,

Tes tempes, ta poitrine et tes mains. Ton souffle régulier, endormi

Il me semble. Pourtant le désir,

Installé dans l’attente. »

Topologie de soi où se rencontrer, à la faveur des lieux de l’histoire, où s’apprendre encore, quand soi-même faire corps avec nous, toi. Délicatesse de ce premier recueil de Joanna Dunis, qui explore ainsi la rencontre de notre propre attente de l’histoire, dans un paysage bien plus vaste. Délicatesse de la parole qui cherche à dire, et dit sans même s’en apercevoir – éclosion sensible.

Du nouveau recueil de Virginie Poitrasson, Tantôt, tantôt, tantôt, paru au Seuil dans la collection « Fiction et Cie », dire cette expérience de la peur, son exploration, sa mise en discours mais d’un discours éclaté, précieux, qui ne tient pas à distance.

« Toute histoire commence toujours, toute histoire commence toujours par un face-à-face.

Tout est question de distance. »

Face à qui/quoi qu’ouvrir de nous la possibilité d’une altérité, de l’autre – ce qui soudain éclate d’une rencontre, déchirure du silence qui sépare – comme une topologie des êtres en nous.

« Tout visage est la face d’un instant, d’un instant qui étire les traits à l’infini, d’un instant qui dit la longitude la latitude ou la symétrie de sa forme.

Le visage, alphabet, démultiplié, incurvé, arrondi, cursif, rectiligne, embrassé, incliné, dérobé, enchâssé ou délié. »

Et dans cette proximité de l’autre, dans ce seuil qui transgresse notre seule présence, « A quelle distance se situe notre peur ? » Car c’est avec elle ouvrir à une danse, rencontre et tension de ce qui nous fixe et nous ouvre dans le multiple, où l’écriture déploie :

« – Semer des phrases de peur et aimer s’y frotter. »

Art du poème que celui de Virginie Poitrasson qui détourne, retourne, innerve la page, les espaces, non dans une fausse complication typographique mais dans une composition des espaces de la rencontre, du corps du texte : « C’est encore dans l’écart – corps – que nos fantômes s’agitent. »

Et le mot lentement se répand, écartèle les géographies des corps de l’histoire.

« Comment épouser la terreur ?

Sa forme est tout

sa forme n’est rien

elle est seulement

inséparable

mais l’inséparable

n’est pas

en elle

n’est pas

hors d’elle

n’est pas

sans elle.

Sa forme, ici et là, n’est-elle pas tout le visible ?

Un visible venu de l’arrière de la tête, déplié dans l’air. »

Danse avec la peur et espoir de la rencontre comme autant d’espaces du corps poétique. Foisonnement de l’écriture de Virginie Poitrasson qui dissémine les expériences dont l’écriture rend compte, comme autant de possibles conjugaisons – épouser, là, la déchirure et demeurer contre l’autre.

Du nouveau recueil de Sandrine Malika Charlemagne, La Petite Ouvrière métisse, paru chez La rumeur libre, dire cette parole d’amour à la terre et à l’Algérie, cette affirmation puissance d’un souffle politique, aussi, et dans le poème, et dans le geste même du nom.

Nom de l’auteur : auteure. Malika & Charlemagne où la rencontre dialectique. Comme le précise Serge Quadruppani dans sa préface : « Sandrine a allumé sa part sarrasine, elle a soufflé sur les braises, et les flammes qui s’élèvent de ses vers consument la culture charlemagnesque. »

Éloge du vu et puissance des images dans cette parole vorace et forte :

« Beauté de ces visages où l’excès de soleil

Semble avoir gravé un masque de granit

Où se fondent le grenu et le velouté de la peau

Beauté des gestes qui s’enchaînent comme au ralenti

Beauté suspendue des paysages

Où le renoncement ne sera jamais un sacrifice »

Beauté érigée du soleil, consumation du corps dans l’épreuve de la langue qui répand son souffle

« Moi qui voudrais me terrer dans le sable brûlant du désert

Où l’on guérit dit-on de ses maladies

Moi qui voudrais pour l’éternité que quelqu’un baise et sèche mes larmes

Moi qui voudrais connaître les noms de tous les parfums de l’Orient »

Et lire la force claire de l’image, sa netteté qui ne ploie pas sous l’aveuglement sensible et érotique du soleil, s’ajoute cette effervescence des sens comme un ancrage du corps dans la présence des êtres

« Moi en train de goûter des figues fraîches

Qu’une vieille femme serait venue m’offrir

De ces gestes si hospitaliers, jamais fabriqués »

de ce corps encore où la chaleur se fracasse dans la poussière

« Aime-moi, ô lumière blanche d’Algérie

Aime-moi et brûle mon front, mes lèvres, ma gorge

Mes seins, mon ventre, mon sexe, brûle-moi

Je veux connaître les germes de cette terre »

Beauté de la poésie de Sandrine Malika Charlemagne, parole d’un souffle et emportement solaire comme une lèvre brûlée. Beauté de la poésie de Sandrine Malika Charlemagne qui dresse contre les murs la force du poème.

« […] naître là où tes cris baptisés par un tourbillon de sable

Auraient percé la solitude d’une h’mada

Au lieu du sable

Les grands espaces bétonnés et tous ses fracas »