
Qu’y-a-t-il dans la tête d’une jeune fille de dix-sept ans à l’aube de sa majorité sexuelle ? L’urgence de se débarrasser du fardeau de la virginité. Molly Manning Walker saisit avec une grande délicatesse le frisson de peur et de désir qui saisit Tara (Mia McKenna-Bruce), au seuil de l’âge adulte. Couronné par le prix Un certain regard à Cannes, How to have sex est un anti-mode d’emploi pour la génération extra-lucide qui sort de l’adolescence.
Cœurs à la fête
Si How to have sex consiste d’abord en un sujet – la pression sociale et patriarcale qui pèse sur la sexualité des jeunes filles -, il prend surtout la forme d’une plongée étourdissante dans le monde de la fête. Avant d’être cinéaste, Molly Wanning Walker a été directrice de la photographie, elle filme son décor et ses acteurs en plasticienne. Les boîtes de nuit dans lesquelles se passe l’essentiel du film ressemblent à des aquariums où vivotent un tas de petits poissons-phares. Paupières iridescentes, peaux luisantes, bijoux brillants ; la réalisatrice saisit quelque chose de l’éclat fragile d’une adolescence désespérément attirée par la lumière. Bien qu’insupportable, Tara est aussi un beau personnage de jeune femme qui sacrifie corps et âme à une popularité de cour de récréation. Teen movie s’il en est, How to have sex est surtout un film de lycée déplacé, dans un après et un ailleurs qui n’en sont pas vraiment. La liberté dont les adolescents croient jouir consiste surtout en une suspension des normes qui régissent leur vie ordinaire – plus de parents, plus d’horaires, jusqu’à ce que les résultats des examens terminaux tombent et ramènent brusquement les noceurs à leur avenir incertain.
Paupières iridescentes, peaux luisantes, bijoux brillants ; la réalisatrice saisit quelque chose de l’éclat fragile d’une adolescence désespérément attirée par la lumière.
Logique de la biture
Qui dit fête endiablée dit lendemains brumeux. Pour parfaire la mise en situation, la réalisatrice montre ce qu’il reste des soirées arrosées : des taches de vomi, une migraine insupportable et un vague à l’âme. Les souvenirs de la veille se sont transformés en visions sinistres, l’excitation puérile en mélancolie sourde. Tara obtient ce qu’elle croyait vouloir : une défloration glauque avec le beau garçon de la bande qui se comporte comme une brute épaisse. La scène est montrée crûment, comme un rite de passage dévoyé et fait basculer le film. À la va-vite, sur la plage, à demi-consciente, Tara perd sa virginité et son innocence de jeune fille. La dernière partie du film est presque muette, centrée sur le visage décomposé de la protagoniste qui a troqué ses crop tops pour un gros sweatshirt gris à capuche. Que s’est-il passé ce matin-là ? La première fois a des allures de fin de l’enfance et de tragédie individuelle qu’on ne comprendra que plus tard. Les notions de consentement et de viol ne sont jamais exposées didactiquement dans des discussions avec les copines ou par le truchement d’une voix off, mais suggérées par la représentation d’un mal-être grandissant que les mots ne permettent pas de saisir. La sexualité des jeunes femmes ressemble à un lendemain de cuite. L’histoire de Tara, qui renvoie aux récits brumeux des amis de la cinéaste, rappelle douloureusement des choses que nous avons entendues et des scènes que nous avons choisi d’oublier en devenant adultes. C’est arrivé à Tara, et le coupable s’appelle Paddy, mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Sans déclaration fracassante ni réélaboration analytique, How to have sex raconte comment l’hypersexualisation des femmes produit, pour certaines d’entre elles, l’expérience d’un arrachement à soi. Une image bouleversante résiste à notre faculté d’oubli. C’est Tara, qui titube le long d’une rue déserte au petit matin, au milieu des détritus, l’air absent, comme si elle était la dernière survivante d’une apocalypse. Voilà ce que semble nous dire Molly Wanning Walker : pour les jeunes filles, la première fois n’est pas un événement banal, c’est une apocalypse.
- How to have sex, un film de Molly Wanning Walker, avec Mia McKenna-Bruce, Lara Peake et Enva Lewis. En salles le 16 novembre.