En cette période d’halloween, Zone Critique est parti à la rencontre d’un adaptation glaçante et musicale de la pièce Huis Clos de Jean Paul Sartre. La compagnie L’OEUF OU L’HUMAIN réussit le pari très surprenant de créer de l’harmonie en enfer.
Un esthétisme très singulier
La compagnie apporte un éclairage nouveau et singulier à la pièce, la réinvente tout en la mettant en valeur.
En arrivant à La Folie Théâtre, et en entrant dans la salle aux allures de chapiteau hanté, on se dit que le lieu s’y prête bien. On s’installe sur des petits bancs rouges, et on lève le cou vers la scène surélevée encore cachée par un lourd rideau rouge. Nous sommes bel et bien au théâtre, pourtant déjà, il y a quelque chose de pesant dans cette atmosphère d’apparat. On sent que tout peut basculer à tout moment.
La pièce démarre sur un contrepied et pas des moindres, le musicien Valentin Santes nous accueille avec un look de vampire punk et ouvre le lourd rideau rouge pour que l’on découvre trois corps inertes. Il s’installe ensuite derrière son attirail d’homme orchestre et commence à jouer. La promesse écrite sur l’affiche de “théâtre musical” est immédiatement respectée, comme le générique d’un Tim Burton, nous sommes invité.e.s à entrer dans l’enfer. Tout au long de la pièce les chansons accompagneront les personnages, dans un style folk/rock. Ces musiques donnent une substance nouvelle à la complainte des âmes damnées. Elles aident aussi à structurer la pièce, qui est très contraignante dans son unité de lieu et d’action. La tonalité et le style des musiques est très similaire sur toute la durée de l’œuvre, en cela on sort des conventions de la comédie musicales (la chanson du méchant, celle des amant.e.s, celle du happy end...). Les chansons presque prises dans un leitmotiv sont comme des work song, qui tentent – en vain – de rendre acceptable la torture pour l’éternité.
L’esthétisme est très soigné et complètement assumé. En enfer, dans les costumes de Faustine Redero-Bloy, les comédien.ne.s ressemblent à une rencontre de Wednesday avec The Good Place. Il y a une vraie pâte assumée d’une jeune troupe qui s’autorise à faire ce qui lui plait. Ce plaisir est très communicatif et généreux et qui rend extrêmement accessible l’œuvre de Sartre. La compagnie apporte un éclairage nouveau et singulier à la pièce, la réinvente tout en la mettant en valeur. La troupe n’a pas peur de s’approprie ce classique, on ne sent aucun syndrome de l’imposteur.ice, seulement une envie de nous faire partager ce qui leur a plu dans cette œuvre. Tout est pleinement assumé : les chants, le jeu un peu à l’actor studio, les gestes lents et sublimés. Alors que l’exercice est loin d’être facile, les acteur.ice.s sont impressionnant.e.s dans leur maitrise.
La promesse de grandes choses
Tout semble presque sous contrôle, la langue de Sartre, très poétique, dense et intellectuelle devient dans la bouche des acteur.ice.s très concrète, facile et légère.
Les comédien.ne.s, Pauline Auriol, Axel Prioton-Alcala et Pierre-Louis Sémézis, survolent les difficultés techniques. La frugalité du décor, et la contrainte du huis clos ne sont pas un problème. Les mouvements et la mise en scène restent créatifs tout au long de l’œuvre. Certaines poses rappellent presque des sculptures, ou se rapprochent parfois de la danse. Ce geste propre renforce notre trouble, les enfers sont finalement plus belles qu’attendues. Tout semble presque sous contrôle, la langue de Sartre, très poétique, dense et intellectuelle devient dans la bouche des acteur.ice.s très concrète, facile et légère. Et comme la troupe semble aimer les défis, les genres sont inversés dans la pièce : les hommes jouent des femmes et la femme joue un homme. Une idée supplémentaire réalisée tout en finesse, qui permet d’évacuer des images trop usées comme par exemple celle de la femme convoitée qui veut se sentir exister par le regard d’un homme. Au contraire, cela rajoute au trouble, à l’insaisissable, et tord le cou encore une fois à une convention. Finalement de l’enfer personne n’en est jamais revenu, la compagnie l’a donc représenté comme bon lui semble.
Après la pièce, on repart du théâtre avec l’envie de suivre le travail de ce collectif. On espère qu’iels pourront représenter leurs futures créations sur de vastes plateaux, à la hauteur de leur ambition, où la force de leur esthétique pourra être complétement prise en charge techniquement.
Pour une première création le collectif L’OEUF OU L’HUMAIN met la barre très haut. Iels s’approprient avec beaucoup de finesse, d’intelligence et de beauté le classique de Sartre. L’enfer a finalement du bon.
- Huis Clos adaptation de la pièce de Jean Paul Sartre par la compagnie L’OEUF OU L’HUMAIN – À la Folie Théâtre – jusqu’au 11 novembre 2023
Toutes les musiques de la pièce sont disponibles ici
Crédit photo : (C) kmillesimon