En 2020, la pandémie du Covid-19 semblait avoir ouvert une brèche pour le concept de décroissance. Les avions étaient cloués au sol et les autoroutes étaient désertes. L’air était devenu respirable et l’on redécouvrait les plaisirs simples d’une vie contemplative. Pour beaucoup, l’idée de revoir notre modèle économique commençait à faire partie de l’ordre des possibles. Pourtant, en coulisses, le monde des affaires et de la politique rêvait à un autre destin, un monde où la croissance ne serait pas incompatible avec la préservation de l’environnement. Depuis 2020, ce rêve est devenu une quasi-réalité grâce aux propriétés miraculeuses de la molécule hydrogène, capable de faire avancer une voiture ou d’éclairer une maison sans aucune émission de CO2. Dans son tout premier essai, Hydrogène mania, enquête sur le totem de la croissance verte, la journaliste Aline Nippert mène l’enquête sur cette molécule providentielle, veau d’or des industriels, mouton noir des écologistes.

Une histoire de découplage 

Depuis de nombreuses années, la molécule hydrogène intéresse les scientifiques et les industriels car elle n’émet que de l’eau quand on la brûle. Plusieurs constructeurs automobiles ont d’ailleurs fait de cette caractéristique leur argument de vente principal en mettant en avant les moteurs propres des véhicules hydrogène, parfois non sans maladresse. En 2014, le fabricant Hyundai, dans un spot publicitaire, met en scène un employé au bout du rouleau qui tente de se suicider dans sa voiture en inhalant les gaz d’échappement. L’opération échoue puisque le pot d’échappement ne sert qu’à évacuer de la vapeur d’eau. La publicité a finalement été retirée, mais elle illustrait, malgré elle, le cynisme associé à la notion de découplage

Aline Nippert en propose la définition suivante : « Le découplagedésigne une situation où l’augmentation du produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire l’expansion quantitative des volumes de production dans un pays, rompt avec la hausse des destructions écologiques engendrées par les activités humaines ». Le découplage est dit absolu lorsque le PIB augmente et que les « dommages environnementaux » se réduisent. Il est dit relatif lorsque l’augmentation du PIB continue à générer des « effets délétères sur les écosystèmes », mais à un rythme moins élevé. Dans ce contexte, l’hydrogène a très tôt été envisagé comme le candidat idéal pour prouver la possibilité d’un découplage absolu. Cette source d’énergie qui ne rejette que de l’eau permettrait de conserver toutes les activités en place, sans plus jamais porter atteinte à l’environnement. 

L’enquête d’Aline Nippert cherche donc à évaluer la promesse de découplage absolu portée par la molécule hydrogène. Elle se place du côté des industriels et des responsables politiques qui cherchent une alternative « verte » aux énergies polluantes, pour ne pas dire au pétrole tout court. La journaliste part ainsi à la rencontre des acteurs les plus en vue du petit monde de l’hydrogène, à commencer par le président du lobby Hydrogen Europe, Jorgo Chatzimarkakis, ou le fondateur de Lyfhe, Matthieu Guesné, une entreprise de production et de vente d’hydrogène. À travers ses différentes rencontres, Aline Nippert nous donne à sentir l’atmosphère d’un milieu galvanisé par les innovations et les projections futuristes. On y découvre des esprits enthousiastes, dirigeants, scientifiques ou politiques, toujours à la limite de l’illumination. 

À partir du constat des limites de la promesse « hydrogène », on découvre une fonction totémique qui agit dans nos sociétés, pourtant rationalistes, comme une croyance magique.

« Le totem de la croissance verte » ou la croyance magique 

Après un bref historique de la molécule, la journaliste montre de façon convaincante et pédagogique que l’hydrogène n’est pas une énergie parfaitement verte. Chiffres à l’appui, on apprend que la production d’hydrogène repose en grande partie sur des énergies fossiles et qu’on envisage surtout de l’utiliser pour décarboner les industries polluantes, notamment ...