Dans un noir et blanc léché, Control retrace la courte destinée de Ian Curtis, le chanteur du groupe anglais Joy Division.
« L’existence, quelle importance ça a ? Le présent échappe à tout contrôle… » Ian Curtis est assis par terre, prostré. Vieil adolescent trop grand dans la chambre de son enfance. Jeune adulte usé trop vite par un succès fulgurant. La première scène donne le ton. Control ne va pas nous conter la courte existence de ,Joy Division, mais la descente aux enfers de son chanteur.
Pour son premier long-métrage, Anton Corbijn a choisi de s’attaquer à un mythe du rock anglais. Joy Division se forme en 1976 à Manchester, lors d’un concert des Sex Pistols. Ian Curtis y rencontre les trois musiciens fondateurs du groupe. En 1980, il se suicide à 23 ans. Ces quatre années suffisent pour que la vague new-wave de Joy Division s’infiltre bien au-delà des frontières britanniques.
Noir et blanc géométrique
Anton Corbijn a toujours côtoyé le milieu musical. Photographe de formation, il a aussi réalisé près d’une centaine de clips, d’Atmosphere de Joy Division à Talk de Coldplay, en passant par le Personal Jesus de Depeche Mode. Fasciné par la tragique destiné du jeune Curtis, le Néerlandais s’est basé sur Touching from a distance, un livre écrit par la veuve du chanteur, pour composer son film.
Le choix du noir et blanc pour tourner Control est implacable. Il refroidit le film tout en l’esthétisant. Le réalisateur joue avec les contre-jours comme il alterne la musique et les longs moments de silence. L’héritage de la photographie se retrouve dans ses cadrages : des plans fixes, souvent géométriques où les lignes des murs et des rues quadrillent l’image. Les membres de Joy Division arpentent cet univers sans chaleur. Ils se côtoient mais ne communiquent pas.
Leur leader Ian Curtis évolue entre ombre et lumière. Froid, distant, isolé. En transe sur la scène, le grand brun s’effondre dès qu’il rentre chez lui. « Mon mariage est une erreur », reconnaît celui qui s’est marié à 19 ans et qui a été père à 22. « Quand la routine nous ronge, et que les ambitions sont au plus bas, et que le ressentiment nous envahit… alors l’amour nous séparera encore » (Love will tear us appart)
Il s’enferme dans son mariage raté, son adultère et son épilepsie. Devant la caméra d’Anton Corbijn, Sam Riley traîne le mal-être de Curtis avec justesse .
Chemises, cigarettes, chansons
L’acteur ne connaissait quasiment pas Joy Division avant de postuler au casting de Control. Il n’était pas non plus familier des plateaux de cinéma, lui qui pliait des chemises dans un entrepôt avant d’être embauché par Anton Corbijn. Le réalisateur n’a pourtant pas hésité longtemps avant de lui confier son premier grand rôle :
« Nous voulions quelqu’un qui soit très crédible, et Sam ressemble à l’image que j’ai d’une star des années soixante-dix : il est maigre, nerveux, il fume… Et en plus il ressemble à Ian physiquement. »
Chanteur dans la réalité avec son groupe 10000 things, Sam Riley a longuement écouté et regardé Ian Curtis pour se glisser dans sa peau. La voix est moins rauque, le coffre moins profond. Sa performance n’en reste pas moins remarquable. L’acteur anglais interprète lui-même les chansons du film et elles sonnent toutes juste. Il s’est aussi approprié les gestes de Curtis, son attitude sur scène et son epilepsy dance, qu’il reproduit parfaitement sans la singer
Livré à lui-même, ambitieux mais effrayé par le succès, la vie est un calvaire pour Ian Curtis. Comme son modèle, Sam Riley garde ses émotions en lui. Incapable de se confier à son entourage, il ne trouve le bonheur que face à son micro ou à la feuille blanche. De son interprétation et de la mise en scène soignée se dégage même une certaine pitié pour ce chanteur complexe et complexé. Curtis a perdu le contrôle trop vite, trop tôt, et Anton Corbijn le relate bien dans ce film.
Control, Anton Corbijn, 2007
Caméra d’or – Mention spéciale, Cannes 2007
Lola Cloutour