Camille Yolaine est une figure d’instagram. Elle est également romancière, et vient de faire paraître son premier roman, J’aime, aux éditions Albin Michel. Nous avons voulu, avec elle, interroger ce nouveau statut, celui de l’influenceur, et décortiquer les liens qui unissent réseaux sociaux et littérature. Entretien. 

Bonjour Camille Yolaine, je suis très heureux de te rencontrer pour cet entretien autour de la parution de ton dernier roman J’aime aux éditions Albin Michel. Est-ce que tu pourrais nous parler de ton roman : de quoi parle-t-il ?

J’aime est un roman qui parle d’un jeu de fascination un peu malsain entre deux jeunes femmes: Diane, la narratrice, et Lou, une influenceuse, très suivie sur les réseaux sociaux. C’est un roman qui parle d’amitié, d’obsession, de fascination, et d’admiration.

Comment ton roman est-il construit ? 

Il est écrit à la première personne : c’est Diane, la narratrice, qui parle. C’est une narratrice plutôt omnisciente étant donné que Lou a une vie qui est dévoilée sur les réseaux sociaux. Le roman commence en mai, et progressivement, à mesure que l’année avance, Diane se rapproche de Lou. Le récit est également entrecoupé de dialogues entre Diane et son psychologue, sur la relation qu’elle développe avec Lou. 

C’est ce que j’ai trouvé très intéressant : le récit s’ouvre sur une description très détaillée de la vie de Lou par Diane. Ce roman interroge cette question de l’identité de l’influenceur, c’est-à-dire d’une personne dont l’existence intime est sans cesse exposée. 

Effectivement. Et, de même, le point de vue de Lou n’est jamais vraiment exprimé. Ce roman interroge en effet le métier d’influenceur qui repose sur le partage constant du moindre détail de sa vie, et sur cette idée que nous sommes des boîtes de production à nous tout seuls : on régit la photographie, le son, l’ambiance, la scène, le dialogue… C’est comme si on écrivait sans cesse des films dont on était à la fois les réalisateurs et les acteurs. C’est terrifiant,  et j’avais envie de le mettre en mots. 

Ce statut d’influenceur a-t-il changé depuis tes débuts ? Est-ce qu’aujourd’hui on porte un regard différent sur les influenceurs ? Ton roman montre le poids des influenceurs sur l’économie de nos jours, par exemple la scène où il y a deux acteurs qui sont partagés en story sur le compte de Lou. 

Ce petit passage est assez exagéré en l’occurence. Mais je pense qu’il y a quelque chose d’intéressant dans l’influence et les métiers artistiques. Ce qu’on oublie souvent  avec le métier d’influenceur, c’est qu’il a toujours existé. J’évoque dans mon livre les fêtes à Versailles : Marie-Antoinette, d’une certaine manière, était une influenceuse. Elle faisait converger les regards de la haute société et dictait la manière de vivre, de s’habiller, de parler…

Marie-Antoinette est un exemple extrême, certes, mais cette expérience se produit dans notre quotidien. Les réseaux sociaux ont amplifié ce phénomène, car aujourd’hui l’inspiration vient de partout, tout le temps. 

On passe notre temps à être soumis à des influences, et c’est pour cela qu’on s’élève et qu’on se réajuste sans cesse. Ce qui est particulier avec le métier d’influenceur c’est que, précisément, c’est un métier : un métier qui consiste à inciter des gens à faire quelque chose. Cette vision d’influence mercantile me pose problème. Je pense notamment à toute cette vague d’influenceurs de téléréalité qui sont là que pour gagner énormément d’argent, vendre des produits en abusant de la crédulité ou de l’obsession des followers. Tout n’est pas à jeter, ceci dit. Il y a bien sûr tous ces influenceurs discutables qui font du dropshipping, ou qui vendent des prestations de chirurgie esthétique, mais il y a aussi des créateurs de contenu qui profitent de leur communauté pour aller titiller leur fibre artistique et entrepreneuriale et créer des marques de qualité qui leur ressemblent, comme beaucoup des filles que je suis… et moi-même, d’ailleurs, avec ma marque de cosmétiques.

Je pense donc que c’est un métier qui a énormément de visages, il y a presque autant de manières de faire de l’influence que d’influenceurs. Je suis assez peu au courant de tout ce qui se pratique en influence, parce que chaque influenceur travaille dans une bulle. L’algorithme est suffisamment perfectionné pour qu’on ait l’impression de suivre de très nombreuses personnes, mais en réalité il nous met en relation avec une infime partie de la nébuleuse des comptes et des influenceurs qui existent sur Instagram. 

Il y a donc aujourd’hui un côté clair-obscur d’Instagram : c’est lumineux, parce que ça permet d’avoir accès à énormément de choses, d’inspiration, et en même temps il y a parfois une profonde vacuité de ce réseau social. C’est grâce à Instagram que tout ce qui était autrefois loin ne l’est plus vraiment aujourd’hui, et en même temps ce réseau social pose des problèmes d’uniformisation.

Comment notre rapport à notre propre intimité change-t-elle avec instagram ? 

Pour reprendre la fameuse phrase de Shakespeare, “le monde est un théâtre”, et c’est un phénomène poussé à l’extrême sur Instagram ! Cela m’est arrivé d’entendre des conversations de personnes qui disent “Je vais partir en vacances à tel endroit, parce que ça fait plusieurs fois que je vois des gens qui y sont sur Instagram et ça a l’air trop bien”. À moi aussi, cela m’arrive d’être “influencée” : un restaurant, un endroit, un livre…

Je pense qu’ Instagram est une caisse de résonance de la société. Tout est amplifié, à tel point qu’on ne sait pas si ce qui est montré est vrai : ces personnes sont-elles aussi heureuses qu’elles le montrent sur leurs photos ? Instagram repose sur une certaine théâtralisation, et d’ailleurs c’est comme ça que j’ai pensé Instagram dans mon roman : pas tant comme un sujet que comme un décor de théâtre, dans lequel évoluent les personnages. Instagram est une place publique : les personnages se croisent, certains plus grandiloquents que d’autres. Pour moi, c’est vraiment une espèce d’avatar virtuel de la société, avec ses personnages fantasques et ses personnages plus discrets. 

Instagram repose sur une certaine théâtralisation, et d’ailleurs c’est comme ça que j’ai pensé Instagram dans mon roman : pas tant comme un sujet que comme un décor de théâtre, dans lequel évoluent les personnages.

Instagram reconditionne notre psychisme, on se met à envisager notre existence à partir de la photographie qu’on va pouvoir faire pour les réseaux sociaux. C’est la société du spectacle : l’intime devient public. Notre quotidien est perçu à travers ce prisme. On se dit : “Si je fais ça, si je pars ici en vacances, est-ce que je pourrais en faire des photos ?”. Il y a des lieux touristiques qui ont été défigurés à cause de cela. 

Dans ma vision de l’influence, c’est quelque chose que j’ai très vite mis à distance, en me disant que mon profil serait plutôt comme une marque. Je ne publie rien sur ma vie privée. Mon compte n’est pas vraiment incarné, il ressemble plutôt à un moodboard. J’estime que c’est ce qui me sauve mentalement, parce que même en mettant énormément de distance avec ce compte et ce métier, je me retrouve quand même parasitée par ces pensées :  “c’est vrai que c’est joli comme décor, ça ferait une jolie photo”, chose que je me serais pas dite avant d’être influenceuse. C’est une question de goût esthétique, mais aussi de mise en scène. Il y a dans ce métier une notion de théâtre, de mise en scène, de costume, de texte à interpréter. L’influence est un métier d’interprétation.

Par ailleurs, à travers Instagram, il y a cette quête de montrer quelque chose de soi que l’on veut que le monde voit. Je pense que, d’une certaine manière, sur mon compte je me suis enfermée dans un rôle de petite Parisienne fraîche et spontanée, ce qui en fait, ne représente qu’une partie de moi-même. Avec Instagram, on appuie avec une loupe et sur des choses que l’on veut prouver. 

Comment peut-on définir la relation qui se crée entre Lou et Diane ? Est-ce une amitié ? 

C’est d’abord une relation qui est marquée par une véritable obsession. C’est aussi une amitié mais qui est toujours intéressée en tout cas. Il y a un rapport de force, mais on ne sait pas vraiment qui mène la danse. Il y a un côté danse macabre. C’était dur à écrire, et d’ailleurs en cours d’écriture je me suis stoppée net, parce que je me disais que cette relation ne tenait pas. J’ai dû revoir mon livre pour que ça se tienne mieux, pour qu’il y ait des relations communes. Je me suis vraiment posé cette question : “ Camille, si demain il y avait une fille qui débarquait de nulle part, est-ce que spontanément tu lui proposerais d’aller prendre un café ? Est-ce que spontanément, tu l’inviterais chez toi ?”.

Est-ce que cette obsession, cette fascination d’un follower pour une influenceuse, c’est quelque chose de courant, c’est quelque chose qui existe ? Est-ce que tu t’es appuyée sur des faits réels ? Est-ce qu’il y a une volonté de dénonciation dans ton roman ? Une portée politique ?

Pas du tout. Instagram s’est imposé à moi au fur et à mesure du processus d’écriture. Mais ce n’est pas un pamphlet, je n’ai jamais eu la volonté de dénoncer quelque chose. Je n’avais aucune intention particulière en écrivant ce livre, si ce n’est d’avoir une histoire avec un début, une fin et des choses entre temps ! Je pense cependant qu’il y a eu des moments personnels de friction avec ce métier. Je voulais le mettre en lumière. Mais il n’y a aucune volonté de dénoncer Instagram. Je pense que ce livre en montre les travers, mais aussi les multiples possibilités que cette plateforme offre. 

Lorsqu’on est influenceuse, on devient quelque chose de commentable, on cesse d’être un personne. On devient comme un petit personnage en pâte à modeler, que les gens se permettent de commenter, et d’ajuster à leur propre fantasme aussi. Ça m’est arrivé de nombreuses fois de rencontrer des gens, que ce soit pour le travail ou dans la vie personnelle, et qui se permettent des remarques assez intéressantes, du style: “Ah, c’est marrant, je ne t’imaginais plus grande”. 

Donc oui, Instagram dévoile et expose une part de l’intimité. Mais, c’est une intimité qui se mêle toujours à la fantasmagorie du spectateur. C’est toujours une illusion d’intimité, qui résulte du choix de l’influenceur. On a l’impression que sur le compte va se dévoiler publiquement quelque chose de l’ordre privé. Mais la nature réelle de la personne qui est derrière le compte échappe toujours à ces quelques clichés et ne font que composer une image factice. 

Quand on aura du recul, il y aura des essais sur les ressorts psychologiques et philosophiques de l’influence. Mais je pense que ça dépend de ce qu’on veut donner à voir. Je ne veux pas faire une théorie sur un coin de table, mais je pense que forcément, quelqu’un qui donne plus à voir, va être suivi par des gens qui veulent toujours en voir plus.

Je pense que ma “stratégie” a été, dès le début, de montrer un personnage, une “marque”, plutôt que vraiment la personne que je suis. Cela a été salvateur à bien des égards. Ce qui va potentiellement changer la donne avec ce livre aujourd’hui, c’est que, de facto, un livre, c’est très intime. Donc, je donne quelque chose que je ne pensais pas donner un jour à ma communauté. Je me suis même posé la question de l’écrire sous un autre nom, parce que j’avais peur du préjugé, parce que, de fait, “influenceur” est souvent associé à superficialité dans la tête des gens. Donc, je me disais : “Est-ce que je vais être prise au sérieux ? Est-ce que mon livre va être considéré d’un point de vue littéraire si jamais je l’écris sous mon nom?” Donc, pour moi, c’est très étrange, ça me met dans une zone de danger que je n’avais pas forcément anticipée. Sur Instagram ce n’est pas vraiment moi, mon livre, c’est une part de mon âme. Donc, c’est vertigineux. Ça fait très peur.