C’est l’un des premiers événements du programme « Constellation » du Centre Pompidou depuis sa récente fermeture pour rénovation, « Le grand palais de ma mère », présenté dans la partie centrale de la Nef du Grand Palais du 13 au 29 juin 2025. Il offre aux visiteuses et visiteurs une rétrospective aussi riche qu’hétéroclite et émouvante consacrée au travail du metteur en scène Mohamed El Khatib, qui a construit ces quinze dernières années une galerie de personnages d’une profonde sincérité dans laquelle se lisent et se reflètent notre époque, ses émois et ses difficultés. 

Dans un format original alliant exposition, spectacles, rencontres et DJsets, Le grand palais de ma mère devient aussi l’occasion pour le metteur en scène de léguer à sa mère partie trop tôt un musée de l’intime et du souvenir individuel, loin des installations muséales conventionnelles qui donnent à l’histoire nationale et internationale le primat sur les existences anonymes et secrètes de celles et ceux qui, à leur petite échelle pourtant, la forgent et la construisent autant que les grands noms, des artistes aux politiciens en passant par les intellectuels.

Installation de Mohamed El Khatib au Mucem en septembre 2023.

Divisée en plusieurs espaces qui accueillent de manière simultanée différentes installations, la Nef du Grand Palais résonne et grouille : elle met à l’honneur et fait cohabiter des artistes contemporains et leurs installations, toutes différentes et variées. La transe électro de l’installation Euphoria se mêle aux notes lointaines du titre « Tonton du bled », le tube du groupe vitriot 113 dont la production de DJ Mehdi samplait la mélodie célèbre de l’un des piliers de la résistance culturelle et politique algérienne, Ahmed Wahby. Placée au cœur de la Nef, l’installation de Mohamed El Khatib assume une fonction de carrefour, comme cette Méditerranée qu’elle chante et qui n’est peut-être plus rien d’autre aujourd’hui que la mise à l’épreuve de notre humanité face à la guerre qui la décime et la défigure pour toujours. Le grand palais de ma mère dresse ainsi un pont entre l’univers éco-poétique du Brésilien Ernesto Neto et son œuvre, Nosso Barco Tambor Terra où sons et couleurs se répondent, et l’immersion dans l’installation monumentale Euphoria, comme une ultime occasion pour le metteur en scène de redonner à la Méditerranée sa place de carrefour et à sa mère celle de première muse.

“Nous ne sommes pas des visiteurs de musées.”

Le parcours proposé aux visiteurs de la Nef du Grand Palais permet une plongée dans les productions théâtrales de ces quinze dernières années de Mohamed El Khatib où le visiteur découvre ou redécouvre sa méthode de travail et d’écriture. Chaque spectacle, de Stadium à Boule à neige en passant par La Vie secrète des vieux et Finir en beauté, retrouve sa place dans la scénographie muséale et rassemble les objets et les bribes de récits d’anonymes qui les évoquent avec tendresse et sincérité. Un poste de radio, un pétale de fleur, une série de madones dorées, un panier en plastique rose fluo, une pièce de cinq francs, des bagues tête-de-mort, un chandelier : ces objets a priori insignifiants ne sont pas des œuvres d’art comme toutes celles qui remplissent les musées. 

Les objets de l’exposition collective sont des œuvres de la Collection Lambert à Avignon mais aussi des objets sentimentaux récoltés auprès de personnes en situation de précarité. Ces commissaires d’exposition d’un nouveau genre seront présents au Grand Palais pour raconter leurs histoires et dialoguer avec les visiteurs ; lesquels sont invités à raconter leur objet-fétiche et l’histoire qu’il enferme. Car tous les objets de ce grand palais sont des tranches de vie, des reliques disséminées dans un cimetière vivant qui nous rappelle que chaque jour nous communiquons avec nos morts et nos disparus. Conçu en partenariat avec la Collection Lambert et la Fondation pour le logement des défavorisés, le musée de Mohamed El Khatib redonne, comme le font ses spectacles, une dignité et une valeur à ce qui est souvent décrié, mis en ban ou jugé trop banal. Éminemment poétique, la traversée prend peu à peu les atours d’un manifeste politique sur lequel plane l’ombre lumineuse de sa mère qui n’allait pas au musée mais n’en demeure pas moins sa muse. Depuis la création en 2008 du collectif Zirlib, Mohamed El Khatib travaille avec la ferme conviction que l’esthétique n’est pas dépourvue de sens politique, et même, à en reparcourir son...