Cinéphile engagé, homme de tous les arts, Michel Marmin revient sur sa riche et tumultueuse carrière et ses engouements esthétiques dans un livre d’entretiens passionnant.
Fasciste libertaire, érotomane chrétien, sinn féiniste monarchiste, mélomane et aficionado, cinéphile et poète, ancien et moderne, classique et baroque : difficile de situer Michel Marmin. Homme de droite mais avant tout esthète. « Et d’ailleurs pourquoi, faudrait-il être hémiplégique ? demande-t-il. Ne peut-on pas concilier ou du moins faire cohabiter en soi deux pôles contraires ? » Marmin revendique et assume pleinement ses paradoxes. Mieux et beaucoup plus rare, pour un homme de sa génération, celle des « baby boomers », cette rêveuse – et souvent affreuse – bourgeoisie, il avoue, sans renier aucun de ses engagements, s’être beaucoup trompé au cours de sa longue carrière, débutée à la fin des années 60, au service de recherche de l’ORTF, dans le giron du musicologue Pierre Schaeffer, et poursuivie ensuite dans tout ce que la presse parisienne comptent de supports réactionnaires plus ou moins virulents : Valeurs Actuelles, Le Figaro – où il succéda à Michel Mohrt à la chronique cinématographique – Eléments, sans oublier la singulière aventure de la revue littéraire Matulu.Après une période néo-païenne plutôt folklorique à ses dires, Marmin a fini par se rapprocher du christianisme. Cinéphile macmahonien de stricte observance dans sa jeunesse, il va progressivement s’éloigner des dogmes de cette « secte » qui rejetait aussi bien la Nouvelle Vague que le cinéma de « qualité française ». «Le Machmahonisme avait partie liée avec le fascisme », assène-t-il. Rien que ça ! Aujourd’hui, Marmin reconnaît même avoir du mal à tolérer les critiques à l’encontre de Jean-Luc Godard, mais ne se prive pas de dégommer le « funeste » Michel Audiard, tout en avouant, dans le même temps, une grande affection pour le cinéma de Joël Séria. On mettra cela sur le compte d’un certain élitisme…
Il n’y a pas que sur le terrain cinématographique que l’on ne suit pas toujours Michel Marmin dans ses engouements. Ce qui n’est évidemment pas l’objectif de ces entretiens passionnants menés tambour battant, débridés, fourmillant d’anecdotes, laissant ainsi la part belle à la digression, à l’échappée involontaire. Produit du feu d’artifice culturel des années 50, Michel Marmin ne fait qu’ouvrir les pistes (vertes, bleues, et noires plutôt que rouges) de ses slaloms spéciaux, révélant une extrême sensibilité à la nouveauté et à l’avant-garde, une immense culture et un étonnant éclectisme.
Des entretiens passionnants menés tambour battant, débridés, fourmillant d’anecdotes, qui laissent la part belle à la digression et à l’échappée involontaire.
Sont tour à tour évoqués la fatale Louise Brooks ou la plus obscure Vega Vinci (un nom de personnage à la Modiano !), la musique concrète et le jazz, Drieu et Jean-Pierre Martinet (« l’auteur le plus important depuis Céline »), mais aussi Léo Malet, Charles Péguy (« une initiation au sacré, au socialisme, et à l’enracinement »), ou Raymond Abellio, avant que n’interviennent de nouvelles considérations sur les cinémas de Raoul Walsh, Joseph Losey, Dino Risi, Pascal Thomas ou Jacques Rozier. Seule déception : on reste un peu sur sa faim lorsqu’il s’agit du cinéma contemporain. On aimerait connaître le point de vue du critique sur des réalisateurs de la trempe d’un Malick ou un Paolo Sorrentino. Quoi qu’il en soit, il tire à peu près dans toutes les directions, pour le plus grand bonheur du lecteur.
Évidemment, Michel Marmin se désole de la « morale en peau de yaourt de l’époque » et de l’état présent du cinéma français, en dénonçant sa « frilosité politique stupéfiante ». Il l’aurait certainement sorti du coma dépassé, notre cinoche hexagonal, s’il avait pu mener à bien son projet d’adaptation des « Bienveillantes » de Jonathan Littell, proposé à son camarade de jeunesse Alain Corneau !
L’homme confesse également une sympathie instinctive pour les réprouvés et exclus de tous bords, et même une grande fascination – esthétique – pour la violence politique. Ainsi, Régis Schleicher, membre du groupuscule d’extrême-gauche et terroriste d’Action Directe, avec lequel il entretint une correspondance et dont il fut l’éditeur, côtoie dans son drôle de musée de l’imaginaire Arnö Breker ou Leni Riefenstahl (qui n’aurait, paraît-il, pas été insensible à ses charmes). On ne s’étonnera non plus des liens d’amitié qui l’unissaient à Jacques Vergès, dont il pense même avoir percé le mystère des « grandes vacances », de 1970 à 1978.
Grand plaisir évidemment que de voir Marmin vomir tous les Jekyll et autres ânes savants républicains, bricolant dans leurs laboratoires des catastrophes généralisées. À ces petits curetons, on conseillera la sortie de leurs petites chapelles et la lecture de ces entretiens oscillant entre bordel sacré et sacré bol d’air. Air sain de la culture, le seul qu’il faut conserver, comme l’écrivit un jour le grand Dominique de Roux…
- Michel Marmin « La République n’a pas besoin de savants. Entretiens. », Éditions Pierre-Guillaume de Roux, mars 2017, 284 pages, 21 euros.
Nicolas Jeanneau