RENTRÉE LITTÉRAIRE. Nous sommes immortelles de Pierre Darkanian est certainement l’un des textes les plus importants de cette rentrée de septembre. C’est une époustouflante épopée, qui nous fait voyager du Quartier de la Goutte d’or au Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, et des Women’s Lands, cette communauté utopique féministe constituée dans les années 70 en Oregon, à la Commune de Paris. À travers un récit onirique et bizarre, à mi-chemin entre réalisme et fantastique, l’auteur interroge la réappropriation du mythe de la sorcière par le féminisme contemporain. Rencontre.
Sébastien : Ton roman est un « roman monde », un récit fleuve. Tu nous emmènes de la Goutte d’Or au quartier de Haight Ashbury, de l’université de Vincennes à l’Oregon. Qu’est-ce qui relie tous ces lieux et toutes ces époques que tu as mis en scène dans ton roman ?
Pierre : Le lien, c’est la marginalité. D’abord, le quartier de la Goutte d’Or, qui a longtemps été un faubourg de Paris avant d’y être intégré au milieu du XIXème siècle sans jamais parvenir à en faire véritablement partie. Il demeure un territoire enclavé entre le boulevard Barbès, le métro aérien, les voies ferrés de la Gare du Nord et les anciens entrepôts de la SNCF, que l’on traverse avec l’impression de découvrir un monde à part.
Ensuite, il y a la faculté de Vincennes que l’on avait sortie du bois dans la foulée de mai 68 avec l’objectif affiché d’y attirer les étudiants gauchistes des facs parisiennes et que l’on a surnommée « la forêt pensante ».
Enfin, la côte ouest aux États-Unis était, dans les années 70, l’incarnation de la contre-culture et du mouvement contestataire à travers les hippies, le rock ou différentes expérimentations de communautés alternatives.
Tous ces territoires se côtoient, se répondent, se nourrissent les uns les autres. C’est ce que j’ai essayé de faire ressentir dans mon roman en les érigeant comme des équivalents modernes des forêts qui sont, dans l’imaginaire collectif, les lieux où les sorcières vivent recluses, à la lisière du village et de la société.
Sébastien : Qu’est-ce qui t’a poussé à t’intéresser à ce motif de la marge, de la marginalité ?
Pierre : C’est la figure de la sorcière, justement, que je côtoie depuis que j’ai une vingtaine d’années et qu’il m’arrive d’avoir des épisodes de paralysie du sommeil au cours desquels j’ai des hallucinations que l’on appelle « syndrome de la vieille sorcière ». Durant ces épisodes, je distingue une présence malfaisante qui essaie de m’étouffer dans mon lit. Les premières fois, ce phénomène me terrifiait mais depuis que j’ai appris qu’il s’agissait d’une réaction du cerveau à la panique suscitée par la paralysie du corps, je suis à peu près parvenu à l’apprivoiser. C’est de là que provient ma fascination pour la sorcière et mon envie d’écrire un roman avec ce syndrome pour point de départ.
Sébastien : Ton récit est très riche, avec des événements à différentes époques. Comment pourrais-tu le résumer pour nos lecteurs en quelques lignes ?
Pierre : Le roman s’ouvre sur le personnage de Janis, une gardienne de parking d’une quarantaine d’années qui se définit comme une peintre médiumnique et qui ressemble beaucoup à une artiste ratée. Elle est à la recherche de sa mère Jeanne qui a mystérieusement disparu au moment où le manuscrit que cette dernière venait de publier rencontre un succès inattendu. Ce manuscrit est une compilation de toutes les lettres que Jeanne a reçues d’une criminelle anglaise du nom de Carol Schäffer qui a été condamnée à la perpétuité en Oregon pour y avoir perpétré une série de massacres, en particulier des infanticides, au début des années 80. Le roman retrace à la fois la quête de Janis pour retrouver sa mère en 2026 et le parcours de Jeanne dans sa jeunesse qui mènera le lecteur du début des années 60 à la fin des années 70.
Sébastien : Un des éléments marquants de ton récit est les Women’s Lands dans le sud de l’Oregon. Tu y décris Jeanne s’installant avec Carol et un groupe d’adeptes. Peux-tu expliquer à nos lecteurs ce que s...