Leonard Fife est un fieffé menteur. Documentariste admiré pour son engagement politique dans les années 1960, il accorde une dernière interview à l’un de ses anciens élèves et promet de dire la vérité, rien que la vérité. Dans Oh, Canada,Paul Schrader, que l’on sait obsédé par le dispositif de la confession (Sur le chemin de la rédemption, The Card Counter, Master Gardener), adapte le dernier roman du grand Russell Banks disparu en 2022 et célèbre la puissance du faux. 

Dans un récit à la construction complexe, la personnalité tantôt détestable, tantôt charmante du vieil artiste sur son lit de mort (Richard Gere excelle dans le rôle du grabataire lunatique) est dévoilée au gré de souvenirs de sa prime jeunesse. Le portrait est contrasté puisqu’il est impossible de percer le secret d’une personne. Que retenir d’une vie ? Emma (Uma Thurman), la dernière épouse du cinéaste joue le rôle de témoin. Lorsque Leonard perd le fil de son propos, il adresse un appel de détresse à sa femme. De sa vie passée, il ne reste que des ombres qui ressurgissent dans de beaux noirs et blancs. Le statut de l’image-souvenir est sans cesse problématisé, y compris durant les leçons que Fife consacre aux thèses de Susan Sontag sur la photographie. En réalité, Leonard vise moins la révélation que la sauvegarde d’une mémoire vacillante par le récit conjugué au présent. Schrader est certes de culture chrétienne, travaillé par la question de la transcendance (son ouvrage, Le Style transcendantal au cinéma. Ozu, Bresson, Dreyer est un classique) mais il convoque ici une figure centrale du judaïsme, celle du tiers. Celui-ci atteste par sa présence que la vie a bel et bien été vécue, que les lieux ont été visités, que les liens affectifs ont existé. Fife est un affabulateur compulsif, constamment occupé à bâtir sa légende mais c’est à son épouse que revient la tâche de confirmer ou d’infirmer ses hypothèses.

L’un et le multiple