Zone Critique, se laisse encore une fois tenter par la programmation du 11 avec Les femmes de la maison de Paulines Sales. Les Femmes de la Maison c’est une maison qui traverse 3 époques et où figurent 13 personnages de femmes et celui d’un homme.
Opposer les discours
Le texte est riche dans sa cohérence, son juste dosage entre réalité historique et interprétation, et sa forme narrative très fournie mais toujours percutante.
Tout part d’une histoire d’amour entre Monsieur Martens et une photographe dans les années 50. Il lui offre une maison qu’elle déserte, et par nostalgie et affect, il ne parvient pas à revendre la bâtisse et décide de la mettre à la disposition de femmes artistes pour “qu’elles [fassent] ce qu’elles ont à faire, passent le temps qu’il leur faut et puis s’en [aillent].” Cette maison va ainsi devenir un lieu de résidence pour des artistes femmes et traverser les époques. Dans les années 50, Simone, artiste peintre, s’essaye à ce lieu de liberté qui semble presque irréel : un espace loin du monde, avec du temps, pour qu’elle puisse créer. Puis dans les années 70, la locataire de la maison et figure historique Miriam Schapiro, s’approprie les lieux, affirme cette appartenance féminine et construit une womanhouse avec Judy Chicago. Enfin à notre époque, 3 femmes se retrouvent pour une résidence d’écriture, l’occasion d’interroger un conflit générationnel dans l’affirmation de leur identité et de leur féminité.
La pièce est au service d’un texte brillant qui nous offre une véritable rencontre avec la plume de l’autrice. Le texte est riche dans sa cohérence, son juste dosage entre réalité historique et interprétation, et sa forme narrative très fournie mais toujours percutante. L’évolution des époques est non seulement perçue dans le décor évolutif du scénographe Damien Caille Perret, mais également dans l’évolution des discours tenus. Pauline Sales ne qualifie pas sa pièce d’œuvre militante, car elle nous laisse entendre les discours en faveur mais aussi en opposition de ces causes. Ce n’est pas un manifeste mais une réflexion collective : comment nos mœurs évoluent et finalement quels sont les mécanismes qui peuvent nous retenir, où sont les peurs, les raccourcis, les doutes, les zones grises. Pendant le spectacle nous entendons des argumentaires s’opposer, bien souvent pour la même finalité, ainsi qu’une grande pluralité de propos entre les personnages, et parfois même au sein des personnages avouant leurs failles.
Pauline Sales saisit cette introspection à bras le corps lors de la dernière époque en mettant au plateau une représentation caricaturale d’elle-même : dramaturge quinquagénaire amenée à travailler avec deux artistes plus jeunes et militantes. Ce personnage, Florence, est splendidement interprété par Anne Cressent. Son discours, moins alerte sur les questions d’identité, de genre, et de lutte féministe que les deux autres, témoigne une fois encore de la complexité du sujet et qu’il n’existe pas nécessairement une manière toute tracée de s’émanciper. Elles partagent cette quête d’affirmation de soi et cette envie de pouvoir vivre pleinement sa vie comme on l’entend.
Une marche plus ou moins vers l’avant
La révolution doit se faire aux yeux de tous
En incarnant trois époques au plateau, nous sommes amené.e.s à nous interroger sur l’évolution de cette quête d’appropriation et de réappropriation de soi et de son art. Les personnages témoignent de ce changement. Simone, la peintre de 1950 commence sa résidence de création en se parlant à elle même : “Dégoût de soi, vide, accablement, personne ne m’oblige à ça, tu as enfin la possibilité de le faire et tu ne fais rien.” Elle finira par quitter la maison en laissant un tableau d’un désert intitulé “autoportrait”. En contraste, Paula, autrice présente dans la dernière époque revient d’un interview, voit son œuvre littéraire adaptée en série et connait donc le succès. L’énervement et la tension de Simone s’oppose au sourire doux et tranquille de Paula.
Cette évolution, comprenons nous, est possible notamment par la période charnière des années 1970, qui pousse la révolte et la quête de revendication. Miriam Schapiro, carabine à la maison, vulves sur des coussins et culottes suspendue sur les cordes à linges, s’approprie pleinement l’espace de la maison et surtout, ouvre les portes sur le dehors. L’extérieur devient le lieu de la représentation, les femmes ne se cachent plus et refusent les règles de Monsieur Martens : la révolution doit se faire aux yeux de tous. Parfois l’ego trip de Miriam et Judy peuvent ternir cette révolution, qui porte toutefois ses fruits : le personnage d’Annie, initialement embauchée comme femme de ménage, témoigne de cette libération. Lors d’un long monologue adressé au public – car même le quatrième mur est tombé – la comédienne Olivia Chatain fait magnifiquement entendre cette longue tirade d’appropriation de son corps, de son orientation sexuelle, de sa vie de famille et de ses rêves.
Pourtant, l’évolution n’est pas aussi claire que l’on souhaiterait qu’elle soit. Le manque de confiance de Florence dans sa capacité et sa légitimité à écrire fait écho à celui de Simone. Et puis les femmes de ménage peuvent être les témoins d’une évolution à double vitesse, elles qui sont également des femmes de cette maison.
Les femme de ménage – les enjeux en creux
Ces femmes de ménage sont une percée de réel dans une fiction qui semble avoir clairement défini où sont les protagonistes et les enjeux.
La figure de la femme de ménage est une figure récurrente dans le travail de Pauline Sales. Ces femmes de ménage sont une percée de réel dans une fiction qui semble avoir clairement défini où sont les protagonistes et les enjeux. Les murs de la maison abritent des femmes artistes qui affrontent leur démons créatifs : parviendront-elles à créer dans ce monde gouverné par le patriarcat, parviendront-elles à faire entendre leur voix ? Puis entrent au plateau celles qui n’ont d’autres missions que de faire leur travail et de nettoyer les lieux.
La pièce souligne subtilement qu’elles sont tout autant des membres à parts entières dans cette quête d’affirmation. Ce qui semble être un personnage secondaire prend de plus en plus d’importance : en 1950 elle ne fait que son travail, en 1972 Annie participe aussi à la révolution, et en 2023 Christiane devient figure de proue presque malgré elle d’une réalité. Elle raconte dans un monologue, écoutée par Paula, le quotidien de sa vie : “Je rentre chez moi, il est vingt-et-une heure et le midi j’ai pas eu le temps de manger. Il faut que je me calme, autrement je grossis. J’ai perdu dix-sept kilos, tout le monde dit que ça me va mieux, ça me rajeunit. Mais bon, mon nouveau chien – l’autre il est mort – il demande pas à sortir alors ça me fait moins d’exercice que le précédent. Le yoga ça me faisait du bien mais j’ai plus le temps, il faut que je retrouve un équilibre, il faut que je distancie, que j’arrête de me laisser dominer. ” Cette tirade sera enregistrée, sans que Christiane n’ait donné son consentement, par Paula – signe que peut être l’histoire à raconter est là.
La figure de Christiane nous renvoie à celle de Lina, la dame pipi transsexuelle de Normalito une pièce jeune public écrite de Paulines Sales qui interroge sur la question de la norme. Le personnage de Lina est l’incarnation superbe que toute histoire, tout corps, est politique et témoigne encore une fois du brio de Pauline Sales à nous toucher et nous émouvoir en donnant de la voix et en créant des rôles qui ont rarement été représentés.
Les femmes de la maison est une pièce brillante, intelligente et fine où, au delà de la question de féminisme et d’affirmation, s’oppose des discours de femmes qui veulent comme nous tous.tes vivre et se sentir respectées.
- Les femmes de la maison de Pauline Sales avec Olivia Chatain, Anne Cressent, Vincent Garanger, Hélène Viviès du 7- 26 JUILLET à 13h Relâches les jeudis 13 et 20 juillet au 11 Avignon
Crédit photo : (c) Jean-Louis Fernandez