De Marco Lodoli à Arthur Dayras, et de Wendy Delorme à Eric Chacour, la littérature contemporaine ne cesse d’interroger la question amoureuse. Mais qu’est-ce qui fait qu’on rate un roman d’amour ? 

Il est si facile de rater un roman d’amour. C’est ce que fait hélas Marco Lodoli dans son roman à la sentimentalité dégoulinante, Si peu, publié chez POL : dans ce récit problématique, le personnage féminin apparaît comme simpliste, schématique et sans subjectivité. Quant au premier roman Que brûle la nuit d’Arthur Dayras, il se confronte à un problème de crédibilité : dans ce récit excessivement lyrique qui décrit une relation abusive, l’auteur ne parvient pas à construire des personnages complexes et attachants. Le lecteur reste ainsi en dehors de l’histoire que construit son auteur, et ne croit pas à l’amour qui naît entre Fleure et Victor. 

Peut-être faut-il réinventer notre manière d’écrire l’amour, pour sortir des clichés et des représentations éculées ? Peut-être faut-il la plume précise sans être précieuse, délicate et ciselée d’Eric Chacour pour plonger dans la complexité d’une véritable relation entre deux êtres ? L’auteur du bouleversant Ce que je sais de toi, que nous avons rencontré à l’occasion du Festival America, décrit avec grâce et pudeur une relation passionnelle, qui naît dans le quartier du Moqattam, au Caire. Tarek et Ali, que tout oppose, vont être tour à tour des collègues, des amis, des amants, et des amoureux que la société égyptienne, et le regard réprobateur qu’elle porte sur l’homosexualité, va séparer. 

De même, dans son beau roman Le Chant de la rivière, Wendy Delorme fait de la rivière un personnage à part entière, qui est aussi un témoin des histoires d’amour queer qui s’écrivent à travers le temps. Son cours ondoyant permet de questionner la condition homosexuelle et le patriarcat.

Le féminisme en question

Cette approche féministe du roman Le Chant de la rivière, qui remodèle l’écriture amoureuse et permet à Wendy Delorme d’interroger les structures de domination de notre société, Pierre Darkanian la questionne dans son roman fleuve, Nous sommes immortelles : l’auteur retrace l’épopée du féminisme à travers le récit croisé de Janis, une femme de 40 ans qui vit à la goutte d’or en 2026, et de sa mère, Jeanne, qui va traverser les seventies aux États-Unis, et se découvrir de mystérieux pouvoirs de sorcière. 

Deux personnages qui incarnent deux visions différentes du féminisme : “Janis reproche à certaines néo-féministes de s’arroger une forme d’exclusivité dans la représentation du mouvement alors que Jeanne, qui a vécu de l’intérieur toutes les grandes étapes du féminisme, se réclame plutôt de ce radicalisme.”, nous indique ainsi Pierre Darkarian dans son entretien. 

A travers son épopée hallucinante, Pierre Darkanian, interroge ainsi la notion de radicalisme, mais aussi celle du mal : grâce à ses nouveaux pouvoirs de sorcière, Jeanne va-t-elle se venger de manière sanguinaire et aveugle des hommes qui l’ont fait souffrir ? 

C’est exactement la question qui hante Marie Vintrgas dans son très beau roman, qui vient de  remporter le Prix FNAC 2024, Les âmes féroces : au fond, quel est notre rapport au mal ? Là où Marco Lolodi simplifie son personnage féminin, Marie Vintgras, à l’inverse “démultiplie la complexité de l’âme humaine” (Alexandre Jordeczki) pour ausculter nos souffrances intérieures, notre vulnérabilité et notre humanité. C’est peut-être là, au fond, la vocation la plus prodonde du romancier contemporain.