Raconter un pays en suivant l’émergence de sa capitale. Telle est l’ambition de Vladimir Fédorovski, dans son Roman de Saint-Pétersbourg, publié en 2003, et sur lequel Zone Critique s’est décidé de revenir, à l’occasion de la parution ce mois-ci de son Roman des Tzars aux éditions du Rocher. L’écrivain russe le plus édité en France y décrit les histoires politiques et littéraires de la Russie dans cette ville ouverte aux idées de l’Occident. Il y dépeint également l’influence de la France dans la vie de la capitale impériale.
L’avènement de l’empire russe
Saint-Pétersbourg a été le lieu où se sont déroulés de grands moments de l’histoire de la Russie. Cette ville est fondée en 1703 sur les bords de la mer Baltique, par Pierre le Grand. La naissance de la ville de Pierre marque le passage de la principauté de Moscovie à l’empire de Russie. Pierre le Grand voulait que son jeune empire égale les vieilles puissances européennes. Il était alors nécessaire de construire un grand port sur la Baltique. Pour Vladimir Fédorovski, cette inspiration occidentale fit que «les Russes ne se sentaient pas chez eux à Saint-Pétersbourg, mais en Europe.»
Pouvoir et sentiments
Le pouvoir suprême des palais impériaux s’est souvent mêlé aux intrigues amoureuses des gouvernants. L’écrivain d’origine ukrainienne raconte l’idylle entre Catherine II et Grigori Potemkine. Ce jeune officier, a du faire face au «fardeau du pouvoir», pour continuer à aimer l’impératrice.
Epargnée par les guerres napoléoniennes
Saint-Pétersbourg a accueilli Alexandre 1er, ennemi fidèle de Napoléon. L’empereur russe a rejoint en 1805 la coalition contre la France, formée par la Grande-Bretagne, l’Autriche et la Prusse. La capitale russe est épargnée par la campagne de Russie, étape cruciale des guerres napoléoniennes.
Renversée par la révolution bolchévique
C’est sa grande rivale, Moscou, qui est incendiée après le passage éclair des troupes de Napoléon et la bataille sanglante de la Moscowa en 1812. Au XXe siècle, Moscou est devenue la capitale de l’URSS, ecclipsant la ville des Tsars, rebaptisée Petrograd, puis Leningrad.
Vladimir Fédorovski raconte aussi l’histoire des écrivains russes qui ont fait la renommée de Saint-Pétersbourg. Cette ville a inspiré un des grands poètes russes du XIX siècle, Alexandre Pouchkine. «Son oeuvre marque le couronnement d’un siècle de maturation de la langue littéraire russe», pour Vladimir Fédorovski.
Le prince des poètes
C’est là-bas qu’il a connu ses premiers éveils sensuels, et développé sa grande connaissance du carctère féminin. Eugène Onéguine, le héros d’un de ses romans éponymes, écrit en vers, est nostalgique de Saint-Pétersbourg. Fiodor Dostoïevski a choisi de décrire la misère cachée derrière le faste de cour impériale: ses «rues pauvres», ses «banlieues», les «humiliés» et les «offensés».
Les poètes tourmentés par la révolution
Au début du XXe siècle, la ville, tourmentée par ses révolutions, a hanté les esprits de nombreux poètes et écrivains, comme Alexandre Blok, Ossip Mandelstam ou Vladimir Maïakovski. Ce dernier y a rencontré Lili Brik, dont il est tombé amoureux, et sa soeur, Elsa Kagan, la future Elsa Triolet, et femme d’un certain Louis Aragon.
L’influence française
Dans son roman historique, Vladimir Fédorovski s’applique à dépeindre l’influence de la France sur le cours de la grande histoire pétersbourgeoise. La langue parlée était le français, et l’aristocratie de la ville considérait le russe comme un vulgaire patois. En 1717, le fondateur Pierre le Grand, a fait un voyage marquant à Paris et au château de Versailles. Ce voyage a aussi marqué le philosophe Saint-Simon qui a rencontré l’empereur russe: «Ce monarque se fit remarquer par son extrême curiosité».
Fédorovski s’applique à dépeindre l’influence de la France sur le cours de la grande histoire pétersbourgeoise
Les nobles, serviteurs de l’Etat
Les réformes politiques de Pierre le Grand se sont inspirés du modèle français. Il a créé des académies pour former la noblesse astreinte au service de l’Etat. Pierre le Grand a affaibli le pouvoir de la noblesse héréditaire, les Boyards, pour octroyer la noblesse au mérite. Il a soumis l’Eglise à l’Etat.
Le coup d’Etat et le complot du parti français
Les Français ont influencé l’histoire russe jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir à Saint-Pétersbourg. En 1741, la jeune Elisabeth devient impératrice grâce à un coup d’Etat orchestré notamment par l’ambassadeur de France de Louis XV et le médecin Lestocq.
Les Lumières et Catherine
Catherine II était éprise de la philosophie des Lumières. Elle entretenait une correspondance avec Voltaire et a reçu Diderot. Elle s’est inspiré de L’Esprit des Lois de Montesquieu pour rédiger le Nakaz, principes constitutionnels de l’empire, qui reprennent le célèbre concept de la séparation des pouvoirs.
Correspondances littéraires
De nombreux liens littéraires se sont tissés entre Saint-Pétersbourg et la France. En 1742, l’impératrice Elisabeth a créé un théâtre français à Saint-Pétresbourg où sont jouées dès 1748, des tragédies et des comédies. Voltaire a été admis à l ’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg. Certains écrivains français gardent un très mauvais souvenir de la ville impériale. Custine, qui a publié au début des années 1840, La Russie en 1839, a été terrifié par le despotisme régnant à la cour pétersbourgeoise. Il la décrit comme un monde où l’on vit dans la dissimulation: «le secret préside à tout, secret administratif, politique, social» Des écrivains ont voyagé entre Saint-Pétersbourg et la France. Tourguéniev s’est installé dans la campagne versaillaise à Bougival pour y vivre avec son amour de l’époque, la cantatrice française Pauline Viardot. Il cultivait aussi de nombreuses amitiés avec Victor Hugo, Gustave Flaubert et Emile Zola.
Certains écrivains français gardent un très mauvais souvenir de la ville impériale
Histoire littéraire
Cet ouvrage est donc un livre d’histoire plus qu’un roman, mais il mêle aux évènements politiques une histoire littéraire sélectionnée par l’auteur. Ce qui donne à comprendre les oeuvres des plus grands écrivains russes. Vladimir Fédorovski montre comment Saint-Pétersbourg a été le palais d’un mariage entre culture française et histoire russe.
- Le roman de Saint-Pétersbourg, Vladimir Fédorovski, Le livre de poche, novembre 2003
Alexandre Poussart