Ta promesse de Camille Laurens est de ces romans qui laissent un goût amer sur le palais. On sort de cette lecture un peu sonné, sali nous aussi, par cet homme qui a tout détruit. Ta promesse est l’histoire d’une promesse brisée – pour la vérité, la libération, brisée pour reprendre vie. Camille Laurens raconte avec une grande justesse les mécanismes de l’emprise au sein de la relation amoureuse. 

Ta promesse, Camille Laurens

“Pervers narcissique”. On entend ce terme dans beaucoup de bouches, des dizaines d’histoires de déception et de cœurs brisés, tant et si bien qu’il finit par perdre de sa force. On en vient à penser que ces personnes qui osent dire, c’est un narcissique, exagèrent, que c’est la rancune qui s’exprime à leur place. Pourtant, lorsqu’elle est exacte, cette qualification induit une véritable détresse : le narcissique ne se contente pas de mal agir. Il détruit.

Dans ce roman, Camille Laurens rend justice aux victimes de ces violences psychologiques, perpétrées impunément et aux yeux de tous. Elle met en lumière la complexité et la dangerosité de ce trouble de la personnalité, ses effets délétères sur l’autre. Au fur et à mesure des pages que l’on tourne, on comprend pourquoi ces histoires sont si intenses, pourquoi il est si difficile de s’en échapper, et surtout, pourquoi elles détruisent autant.

La séduction

L’histoire est amenée par le biais d’un procès, dont on comprend progressivement les enjeux. Qui est accusé, qui est victime ? Qu’est-ce que le véritable mal aux yeux des autres, lorsque l’histoire est mise à nu sur la place publique ? Le procès est un prétexte dont Camille Laurens use avec génie. Tout au long du roman, nous sommes tenus ainsi en haleine. Justice va-t-elle être rendue ? Qu’est-ce que la justice, dans ce type d’histoire ? 

Claire, la narratrice, est une écrivaine au succès reconnu. Divorcée d’un homme qui lui a fait beaucoup de mal, maman d’une fille jeune adulte, Claire n’est pas une femme fragile et naïve. Lorsqu’elle rencontre Gilles, un marionnettiste et metteur en scène, elle tombe rapidement sous le charme. Gilles est gentil, prévenant, Claire se sent vue, belle, comprise. Gilles est tout ce dont Claire pouvait rêver. « Ma merveille d’homme. » C’est ainsi qu’elle parle de lui. L’idylle est sans nuages. « On se racontait nos vies comme un roman qu’on aurait lu la veille, en nous émerveillant des ressemblances, des différences, des coïncidences. »

Les premiers mois sont passionnés, intenses, si bien qu’en tournant les pages, on se demande comment cette histoire va pouvoir mal tourner. Dans le même temps, nous sommes inexplicablement pris d’un léger malaise. C’est ici que la plume de Camille Laurens est très juste. Nous sommes dans la chair et l’esprit de Claire. On ne sait pas d’où vient cette intuition que l’on capte pourtant, nous aussi, dès le départ. On se laisse aller avec Gilles et Claire à cet amour parfait. La narratrice insiste là-dessus et il semble que ce soit le point de départ du piège – le bonheur :

 « C’est tout ce que je veux vous faire comprendre, en dépit de la suite : Nous fûmes heureux comme vous rêvez tous de l’être. » 

La vampirisation

Le poison pénètre lentement. De petits doutes empilés les uns sur les autres, de petites culpabilités reliées entre elles comme des pièces de puzzle, le mal ne se voit pas lorsqu’il s’installe progressivement. C’est ce que Claire assure « Le mal est toujours une surprise. » Nous ne sommes pas faits pour penser que la personne qui nous aime ne souhaite pas notre bonheur. Pire, qu’elle ait besoin de notre ombre pour briller. C’est comme ça que Gilles fonctionne. Il veut la lumière. La critique à son égard lui est insupportable. Claire l’exprime ainsi « Lui voir un défaut relevait à ses yeux de la volonté de lui nuire. » Le dernier point important du processus de vampirisation, c’est le manque d’empathie. Gilles ne pense qu’à lui et ne s’excuse jamais – sauf lorsque cela a un intérêt.

C’est grâce à ce cocktail amer que le mal s’installe. Gilles s’empare de Claire. C’est comme ça qu’il est décrit « Claire est restée elle-même, tandis que Gilles, lui, a voulu se l’approprier – comme s’il n’avait pas d’être propre et cherchait qui être. » 

Le deuxième visage

La manipulation requiert deux visages. L’amoureux parfait, celui qui répare, celui qui brille en société, gentil, insoupçonnable. Et puis la face sombre. Gilles, progressivement, est devenu un autre homme. Un jour, sans même s’en rendre compte, Claire n’a plus trouvé l’homme du début. Sauf par petites bribes. Ainsi, son cerveau ne peut résoudre à ce que Gilles soit quelqu’un de mauvais. Gilles lui fait mal et lui tend ensuite la pommade. Claire se met à faire attention à tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle dit. Un de ses amis l’exprime ainsi, juste après avoir vu le visage de Claire s’illuminer après la réception d’un message tant attendu de Gilles « Claire s’est métamorphosée : il lui avait donné une miette et elle s’en nourrissait. » 

“La manipulation requiert deux visages. L’amoureux parfait, celui qui répare, celui qui brille en société, gentil, insoupçonnable.”

Lorsque Gilles parvient à gangrener Claire par la souffrance et qu’elle tente de s’enfuir, de parler, il va se positionner en victime – Claire est la méchante, elle lui veut du mal. Le comble de l’insupportable pour la narratrice. « Le paradigme du mal, c’est de mettre la faute sur l’autre. » Nous lisons les pages hantées par cette injustice. « Il était convaincu que Claire le dénigrait partout, qu’elle cherchait à entraver sa carrière d’auteur. » Claire passe pour folle. Instrumentalisée par Gilles pour servir ses intérêts, une ascension sociale, la lumière, encore et toujours. « L’image positive ; rien d’autre ne compte, c’est la seule vérité qui vaille pour lui, l’image. » C’est ainsi qu’on ne peut jamais reconnaître un narcissique. Comme ces fameux tueurs en série dont les anciens voisins disent il était gentil, il disait toujours bonjour. Jusqu’au bout, Gilles aura une défense. C’est cela aussi que l’autrice met en lumière – la solitude des victimes. Personne ne comprend parce que personne ne prend la mesure de ce qui se joue réellement. « C’est très difficile à comprendre, de l’extérieur. » Jamais la narratrice n’obtiendra la seule chose qui compte pour elle : la reconnaissance de sa souffrance. 

Ta promesse est en définitive un chamboulement dont on se souvient longtemps. La plume aiguisée et sans détours de Camille Laurens trouve le ton juste, entre narration et morceaux de vers libres. 

« Quelle évidence 
ce mot qu’elle invente 
ce mot qui manquait
Parfois on manque de mots
pour les choses 
ou pour les gens »

Jusqu’à la délibération du procès, nous sommes happés par les manipulations, les rebondissements, le vrai et le faux. L’histoire colle aux dents.

L’autrice réussit à faire entendre sa voix : les violences psychologiques, bien qu’elles ne soient pas pénalement condamnables, détruisent autant que les violences physiques. Une chose est sûre, vous ne sortirez pas indemne de cette lecture. 

  • Ta promesse, Camille Laurens, Gallimard, 2025.
  • Crédit photo : Francesca Mantovani © Gallimard