La prose mélodique et pittoresque de Flaubert est à entendre et à voir sur les planches du théâtre de Poche-Montparnasse avec la brillante mise en scène d’Un Cœur simple, par Xavier Lemaire, avec Isabelle Andréani.
Paru en 1877, dans le recueil Trois Contes, Un Cœur simple est peut-être le texte le plus bouleversant de Flaubert. Situé dans la Normandie du XIXesiècle, ce récit raconte l’histoire tragique d’une fille de campagne à la fois servante et sainte, écrasée par la vie.
Délaissée par un amour de jeunesse, Félicité entre au service de Madame Aubain, une bourgeoise corsetée et autoritaire. Elle s’occupe des tâches ménagères et chérit les enfants de sa maîtresse, Paul et Virginie, et son neveu Victor. Mais chaque personne dont elle se prend d’affection est vite emportée par la maladie : Victor meurt de la fièvre jaune à la Havane, puis une fluxion de poitrine achève Virginie, à la santé si fragile. Plusieurs années passent, le dévouement de Félicité ne tarit pas, au contraire. Elle s’entiche d’un perroquet nommé Loulou dont on lui a fait cadeau. À sa mort, elle décidera de l’empailler pour le conserver toujours près d’elle. La nouvelle s’achève sur l’agonie de Félicité, ayant contractée une pneumonie, et son ultime vision : « un perroquet gigantesque » dans les cieux.
De ce récit inoubliable, saisissant de « simplicité », Isabelle Andréani tire une adaptation fidèle et vivante. Le narrateur de Flaubert laisse place à un récit à la première personne, le « je » de Félicité, sans rien perdre de son empathie, et Isabelle Andréani excelle dans le rôle de la servante dévouée et « tendre comme du pain frais ». Elle s’adresse à nous avec autant de générosité que son personnage. Et, tout comme Félicité qui représente pour la France des petites gens un exemple héroïque, elle fait preuve d’une puissance théâtrale édifiante.
L’incarnation de la sainteté
Sur scène, entre trois niveaux de plancher qui servent à la fois de chambre, de sanctuaire et de terrain de jeux, Isabelle Andréani comble tous les espaces, créent tous les accessoires, imitent, si besoin, la réplique de Madame Aubain, du perroquet.
Sur scène, entre trois niveaux de plancher qui servent à la fois de chambre, de sanctuaire et de terrain de jeux, Isabelle Andréani comble tous les espaces, crée tous les accessoires, imite, si besoin, la réplique de Madame Aubain, du perroquet. Ses sabots heurtent le sol avec fracas, ses mouvements rapides s’enchaînent comme autant de tâches ingrates qui incombent aux domestiques. On pourrait croire que Félicité est une femme de bois, qu’elle a été programmée. Mais sa bonté ne peut que nous émouvoir car elle est rare, presque impensable. Et ses échappées de folie – par exemple, lorsqu’elle trouve une ressemblance entre le Saint-Esprit et son perroquet – la rendent encore plus touchante. Elle pense comme elle peut, elle pense autrement.
C’est aussi un texte où le statut de la femme et de la femme pauvre sont au cœur de l’écriture de Flaubert. Contrairement à Madame Bovary qui tente de vivre un amour inassouvissable, Félicité explore le plus simple de la relation à autrui : elle donne son amour et elle reçoit peu. Elle est une sainteté contemporaine, dont les mots chargés d’humanité font un bien fou.
- Un coeur simple de Gustave Flaubert, adapté par Isabelle Andréani, et mis en scène par Xavier Lemaire, Théâtre de Poche-Montparnasse.