À l’occasion de la parution du livre Le Fleuve qui voulait écrire, qui rassemble ces auditions mises en récit par Camille de Toledo et multiplie les voix, paru le 8 septembre chez Manuella Editions et Les Liens qui libèrent, le Centre de Création Contemporain Olivier Debré de Tours a ouvert ses portes pour une soirée inaugurale le vendredi 10 septembre, dans le cadre des Assemblées de Loire organisées par le POLAU, Pôle Arts et Urbanisme. La performance donnée par Camille de Toledo et la commission du Parlement de Loire, accompagné des sons de l’audio-naturaliste Boris Jollivet est revenu sur les auditions du fameux parlement et l’enjeu d’une voix de la nature et du fleuve.
Une performance collective
Événement immersif des quelques jours de ces Assemblées, la performance de l’écrivain Camille de Toledo a marqué les esprits par sa poésie et l’invitation à une communion sensible. Dans la nef du musée, fenêtre ouverte sur la ville à la tombé de la nuit, face à la belle Église Saint-Julien de Tours, que zèbre par intermittence le tramway argenté : les voix résonnent et se mêlent aux sons de la nature, inaugurent le rêve d’une cohabitation heureuse.
Véritable pièce sonore, la performance est avant tout une poésie faite pour être entendue
Véritable pièce sonore, la performance est avant tout une poésie faite pour être entendue. Au cœur du public, l’auteur et de brillants lecteurs lisent ou récitent, à plusieurs : à l’entrée, des bénévoles proposent des bandeaux pour vivre l’expérience dans le noir total, « moment sensible » donc, comme le présente Camille de Toledo lui-même, juste avant qu’un bruit d’eau qui coule envahisse la nef, que la musique se mette en mouvement, résonne contre les murs, s’élève dans l’immense hauteur de la nef. C’est alors une voix de femme, la première, qui ouvre, en guise de préambule, interroge la place du vivant, son statut juridique, comme pour poser un cadre à ce récit qui sera celui, pendant un peu moins d’une heure, du projet des Assemblées de Loire, et d’un beau livre encore chaud.
Puis, comme en échos, celle de Toledo lui répond, poursuit la lecture. Plusieurs récits de confidences se succèdent, des témoignages, une manière encore de raconter son rapport à la Loire, ou aux rivières : c’est quoi, après tout, habiter près d’une rivière, cohabiter avec elle ? Qu’est-ce qui s’y croise ? Comment, encore, la rivière – dans son rapport aux individus – se fait-elle lieu de rencontre ?
La démarche poétique engage tout à la fois sa dimension philosophique et patrimoniale : le texte se fait en même temps récit de projets, parcours, histoire. Les orateurs mêlent ces confessions sensibles à l’engagement d’un périple, depuis 2017, à l’origine du projet. La performance occupe lentement et l’espace, celui de la scène, et le temps, en amont et en aval de l’évanescence de la lecture. Tous les sens sont en éveil ; à fermer les yeux l’on pourrait se croire au bord d’une rivière, invités par les bruits d’animaux, par les successions de chants des oiseaux. De même, les voix, en canon, évoluent au rythme des bruits de la nature, dansent avec elle, rappelant toujours combien l’enjeu de la réflexion est celui d’une cohabitation du vivant.
Une poésie au présent
Le récit s’accélère, se veut contemporain, explique combien la pandémie « qui se rapproche » – celle passée, dépassée si l’on veut y croire et se laisser emporter – monte à sa mesure comme une fatalité tragique. Une fatalité pourtant qui, dans une sorte de re-partage du midi, a permis à la faune et la flore de reprendre une place dans l’espace public, celui des hommes. Les voix prennent l’allure d’un chœur, qui regarde le monde. Et la nature qui se fait de plus en plus menaçante parce que menacée, contre les murs de la salle, où la puissance de l’eau engloutit progressivement la voix des hommes et des femmes, étouffe la puissance du chant et se fracasse contre nos « antiques croyances », malgré les scientifiques, ces « diplomates du vivant ».
Le spectacle engage à une recherche de la présence du monde sensible, alliant toujours la démarche concrète, et politique et artistique, et la réflexion sur la nature, son devenir.
Le spectacle engage à une recherche de la présence du monde sensible, convoque les indiens ou les maoris pour retrouver les esprits de la terre, rejoint quelque chose d’une sensualité de la nature puis amorce l’histoire des auditions préparatoires aux Assemblées, alliant toujours la démarche concrète, et politique et artistique, et la réflexion sur la nature, son devenir, et proclamer enfin l’injonction : il faut « que le collectif existe, que le récit ait lieu », réunissent les sujets de la nature, là où l’homme agit avec lui. Le récit des différentes auditions a le mérite de mettre en perspective l’étendue du travail, la concertation à l’œuvre mais, exercice de rencontre, elles mettent au jour la réversibilité des lois, « les lois sont des fictions », précise une voix d’homme. Et « nous pouvons changer les fictions », répond une voix de femme, afin de donner naissance au « livre qui racontera notre histoire », recueil des bruits de la nature, de la sensibilité du vivant. Les assemblées cherchent alors à se faire porte-voix, dans une épopée poétique singulière qui cherche le « primat du topique sur l’utopique », qui vise à « entendre ce qui parle que nous n’entendons plus ».
Aussi, être sensible, fermer les yeux, c’est ouvrir l’œil sur ce nul n’écoute, sur ce que l’on a tu malgré les cris. « Nous sommes devenus sourds au monde en nous enfermant dans ce tissu d’écritures et de fictions », ces écritures que sont les différents codes qui agencent la nature selon les besoins de l’homme (code du commerce, code d’urbanisme), des codes qui impactent la nature et la détourne et la déforme. Et ainsi s’épuise la performance poétique, moment singulier, épiphanique, d’un parcours volontaire et engagé.
Bibliographie :
De Toledo, Camille, Le Fleuve qui voulait écrire, Manuella éditions et Les Lien, 2021.