Pour son second long-métrage, la réalisatrice allemande Léonie Krippendorff suit l’évolution d’une jeune fille de quatorze ans à Berlin, Nora, de ses premières amours à ses premières déceptions. Un récit d’apprentissage, qui loin de renouveler le genre du coming of age rend hommage au charme des premières fois. 

Sous l’eau, les sacs en plastique ressemblent à d’étranges méduses. À la surface, il ne s’agit que de simples toiles. La réalisatrice berlinoise Léonie Krippendorff filme la fascination de Nora pour ces formes lumineuses et flottantes. Parce que c’est bien l’émerveillement qui semble au cœur de ce long-métrage ; celui qu’elle a lorsqu’elle  observe sa nouvelle camarade, Romy ; émerveillement lorsque ses lèvres touchent celles d’une autre fille ; émerveillement aussi lorsqu’elle observe son papillon de compagnie s’envoler. La cinéaste choisit de documenter des premières fois, dans un film aux teintes dorées : peut-être celles d’une aube permanente. 

Naissance des pieuvres

La réalisatrice ne condamne personne et suggère davantage la cohabitation entre différentes pratiques du féminin.

Nora habite dans un appartement berlinois à Kreuzberg avec sa mère, une éternelle fêtarde, et sa sœur, Jule, une jeune fille de seize ans qui passe son temps à traîner avec sa meilleure amie,  écouter en bruit de fond des conseils de régime sur Youtube et à rêver d’amour. Nora, campée par l’âpre et intense Lena Urzendowsky, la suit donc de soirées en soirées avec une curiosité enfantine qui cache aussi son mal-être : trop jeune et trop discrète, elle ne parvient pas à s’intégrer. Jusqu’au jour où elle rencontre une jeune fille plus âgée, Romy (Jella Haase), qui lui ouvre de nouveaux horizons. Elle en tombe amoureuse. Cette jeune femme aux cheveux décolorés et aux yeux soulignés de noir vient alors incarner un modèle féminin, peut-être plus inclusif et moins hétéronormé que celui qui lui était donné à voir jusqu’alors. Avec elle, le visage renfrogné et timide de notre héroïne se détend. Léonie Kripppendorff s’interroge sur les imaginaires qui sont proposés aux jeunes filles d’aujourd’hui – même si la teinte du film lui donne un air d’emblée vintage et dans une certaine mesure anachronique – et distingue là deux modèles possibles : nous aurions d’un côté, incarné par la sœur de Nora, celui de la jeune fille à la recherche d’un féminin plus conventionnel et de l’autre, celui que propose Romy qui, plus libre, plus âgée aussi, semble se défaire d’un certains nombres de codes, pour, il est vrai, en adopter d’autres. Cependant, la réalisatrice ne cède pas à une opposition absolument binaire. Les deux modèles semblent finalement déceptifs : après avoir mangé du coton pour  mincir afin d’imiter des mannequins connus, Jule et sa meilleure amie font la grimace. D’un autre côté, la liberté absolue assumée de Romy n’a-t-elle pas à voir avec une forme de légèreté blessante ? Ainsi, malgré un parti pris que l’on pourrait imaginer évident, la réalisatrice ne condamne personne et suggère davantage la cohabitation entre différentes pratiques du féminin. Elle construit des personnages complets, plus complexes qu’ils ont en l’air et les filme avec finesse et bienveillance : Jule, incarnée par la radieuse Lena Klenke se déploie en creux comme une des figures les plus touchantes de ce coming of age.  

Bist du ein Berliner ?

C’est aussi l’occasion pour la réalisatrice de dresser une fresque du quartier de Kreuzberg et de ses habitants. Travaillant avec des acteurs non-professionnels, elle documente avec nuance et sympathie la coexistence entre différentes cultures, différentes générations, différents genres, différentes idées du masculin et du féminin, au sein d’une classe de la ville de Berlin. À cette attention forte à la réalité d’une jeunesse, elle allie des scènes plus oniriques filmées à l’iPhone, ou des plans sur une larve de papillon – une manière conventionnelle de suggérer l’évolution du personnage, qui n’est néanmoins pas dénuée de charme. Ces dernières années, une nouvelle galaxie de coming of age féminin et queer a émergé. On a donc pu voir certaines filles dévaler les rues de New York en skate (Dans Skate Kitchen (2018)de Crystale Moselle), d’autres tomber amoureuses entre des avions en Lituanie (dans The Summer (2015) d’Alante Kavaïté) ou d’autres encore flirter dans les vestiaires de piscine en France (La naissance des pieuvres (2007) de Céline Sciamma). À Berlin, on aura peut-être désormais maintenant la jeune fille qui dort à côté de son papillon. Sans innover sur le plan de la narration – on n’échappe pas aux poncifs du genre – ce long-métrage délicat et sans prétention a le mérite de proposer une fable touchante et féministe sur les premières métamorphoses. 

Kokon, un film de Leonie Krippendorff avec Lena Urzendowsky, Jella Haase et Lena Klenke, en salles le 5 avril