En 1908, à l’âge seulement de 28 ans, Francis de Miomandre remporte le prix Goncourt pour son roman Ecrit sur de l’eau, tombé après la seconde guerre mondiale dans les oubliettes de la littérature, et que Editions de la Différence viennent de rééditer. Un délicieux traité de dandysme et de légèreté, à mettre entre toutes les mains.
Qui connait encore aujourd’hui Francis de Miomandre ? Quasiment plus personne. Pourtant ce dandy né en 1880 et décédé en 1959, ami de Gide, Larbaud, Claudel et Desnos, est notamment le premier traducteur de plusieurs grands textes de la littérature hispanique (Cervantès, Asturias…), et l’auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages de toute nature (romans et nouvelles, essais et poésie…), dont Ecrit sur de l’eau que les jurés du prix Goncourt consacrèrent au début du siècle dernier.
Il est difficile d’imaginer trame narrative plus légère que celle d’Ecrit sur de l’eau, comme nous le laisse si joliment deviner son titre. Légèreté d’ailleurs revendiqué par Francis de Miomandre dès sa préface : « Et puis, je t’assure, pour peu que tu aies aimé les femmes, les couchers de soleil, la littérature symbolique, les relations au hasard et les petits animaux familiers (…) tu te retrouveras dans le héros de ce livre ». Il est en effet ici question de Jacques de Meillan, jeune et doux dilettante marseillais de dix-neuf printemps, un peu littérateur, un peu flâneur, un peu lecteur des Fleurs du mal, un peu « Fils de famille », et qui un beau jour croise la route de l’Amour fou, en la personne d’Anne Mazarakis, une apparition, une fée, « une dame blonde, du blond idéal et princier des teintures, la figure rayonnante et polie éclairée de deux yeux bleu-changeant, fine, longue, vaporeuse, divine (…) ».
Folie dans le clair de lune
Dans Ecrit sur de l’eau, les titres de chapitres s’intitulent « Folie dans le clair de lune » ou « Une fée apparaît ». Les personnages secondaires ont pour nom Juigné de Chamaré ou M. de Rappapont. Les rencontres amoureuses se nouent chez le parfumeur Palanquin et Panka. Les jeunes hommes se ruinent pour des passions qu’ils oublient bien vite. On se récite L’invitation au voyage au bord de la mer nocturne.
“Il n’y a rien de plus merveilleux dans le monde qu’une jeune fille au bord de la mer nocturne. “
Ce premier roman de Francis de Miomandre, comme l’écrivit André Gide « pourrait être insupportable. Il est charmant. ». Si en effet l’on peut regretter peut-être quelques négligences d’écriture, la légèreté du style de l’auteur épouse après tout parfaitement son propos, tant Ecrit sur de l’eau se fait au fil des pages apologie de la rêverie, de la paresse, des cravates, de l’amour fou, de l’enchantement ; et le plus souvent, avec beaucoup de grâce : « Ils étaient tombés assis sur le sable, et Jacques, presque à genoux devant elle, contemplait un visage qui, dans le clair de lune, avait la pâleur et la lumière chaude et profonde de la perle, et où deux prunelles de brune veillaient, avec un incomparable mystère, au milieu d’un halo de nacre. Il n’y a rien de plus merveilleux dans le monde qu’une jeune fille au bord de la mer nocturne. »
« A Dieu qui nous a donné les soirs du printemps »
Il y a quelque chose du Colin de L’écume des jours chez Jacques de Meillan, il y a quelque chose aussi de l’univers de Boris Vian dans celui de Francis de Miomandre (en moins tragique), et c’est au petit drame de la jeunesse qu’on « ensevelit » que vont mener les pérégrinations sentimentales et marseillaises de notre jeune héros ; alors, commence de sourdre, à mesure que l’on s’approche de la fin du récit, une douce mélancolie, si douce qu’en rien elle n’empêche au roman d’être avant tout un remerciement, « à Dieu qui nous a donné les soirs du printemps, l’opium de Séléné, et une chère main fraternelle pour le courage de partir… ».
Alors, merci à vous monsieur Francis de Miomandre de nous avoir donné à lire la joie et la gaité au travers de ces quelques pages aussi rafraîchissantes qu’un peu d’eau claire qui coule sur la peau, et aussi de nous inciter, avec votre jolie plume, à goûter à ce bonheur trop ignoré de la flânerie :
« On était au sept mars, et la ville pressentait l’approche du printemps déjà. Il faisait doux et moite d’une récente ondée. Les trottoirs semblaient de laque sous les lueurs qu’y projetaient les flammes des lampadaires et l’illumination des boutiques. La rue Saint-Ferréol, toute brillante et pimpante, paraissait d’avantage un passage qu’une rue, et le ciel, au-dessus d’elle posé, tout près, dépoli et sombre, avait l’air d’un dôme de verre bleuâtre, d’une seule coulée fantastique. »
Ecrit sur de l’eau est un petit bonheur.
- Ecrit sur de l’eau, Francis de Miomandre, Editions de la Différence, 12 septembre 2013, 8 euros
- Francis de Miomandre, un Goncourt oublié, Remi Rousselot, Editions de la Différence, 12 septembre 2013, 20 euros