Si l’écrivain Yves Navarre a occupé une part importante du dossier sur les écritures de l’homosexualité masculine chez Zone Critique, l’occasion était trop belle d’accepter l’invitation à l’inauguration de la très belle exposition consacrée à l’écrivain et surtout à ses liens avec son ami l’artiste Alekos Fassianos.
Inaugurée le 10 juin à la galerie Élysée Saint Honoré, l’exposition « Navarre rencontre Fassianos » a de quoi réjouir. D’abord, elle se tient enfin, après une interminable attente qui aura vu le second de ses artistes partir – dès lors elle s’accompagne d’une aura d’autant plus singulière et touchante – ensuite, elle est le lieu d’une communication amicale et chaleureuse entre les arts et les artistes, entre la littérature et la peinture. Il faut dire en effet la tristesse de la mort d’Alekos Fassianos, ce 16 janvier 2022 ; l’artiste grec, internationalement reconnu, était lui aussi embarqué dans cette belle aventure que celle d’une exposition, mené par l’ami du peintre, Dimitris Sabatarakis, avec le concours dynamique de l’association des Amis d’Yves Navarre.
De 1966 à 1994, mort d’Yves Navarre, une profonde amitié lie les deux hommes. L’écrivain demande au peintre d’illustrer ses textes et, les lecteurs de Navarre reconnaîtront avec affection les couvertures du Portrait de Julien devant la fenêtre (pour l’édition Robert Laffont de 1979) ou le Poudre d’or (pour l’édition Flammarion de 1993) de la main d’Alekos Fassianos. L’exposition offre alors à voir une pluralité d’œuvres de Fassianos. Elles n’auront pas toutes un lien avec Navarre mais mettent en perspective la beauté du geste pictural de l’artiste, des constances exemplaires : il faudra se montrer sensible à la binarité lumineuse des couleurs dans les deux Cavaliers par exemple, l’un bleu, l’autre rouge, à la singularité d’épis de blé ou du laurier (c’est selon), à ces corps qui déforment Cocteau vers Picasso, à ces formes qui ont tout d’une chair féminine débordante et chaleureuse dans une virilité de garçon : L’amant échappé, pour n’en citer qu’un. Parce que les corps que peint Alekos Fassianos sont d’une originalité très contemporaine en ce qu’elle figure précisément la légèreté de la force, la fragilité de l’opulence et l’érotisme de la délicatesse. C’est bien dans la puissance des corps, dans leur présence touchante. Ces corps, qui en imposent par leur forme, brillent d’une souplesse sensuelle.
Sur la scène littéraire de Navarre, là encore le travail de Fassianos est riche et illustre une collaboration forte. D’une nouvelle de la revue Gai Pied que le second illustre pour le premier à l’affiche du Butoir monté en 1988 aux Amandiers, les dessins de Fassianos répondent aux textes de Navarre avec une finesse délicieuse. Les collaborations sont nombreuses et occupent une autre partie de l’exposition. Mais c’est sans doute pour cet admirable texte, Pour dans peu, daté de 1993, que la collaboration des deux hommes atteint son sommet. Poème incroyablement beau de Navarre que travaille Fassianos, édité par Dimitris Sabatarakis en 1993 en tirage limité (99 exemplaires), ce texte-image est enfin repris dans le catalogue d’exposition publié aux éditions H&O. L’exposition offre aussi d’admirables extraits, où l’écriture sublime l’amitié, comme un poème de Navarre dans la revue Artere, (1984) :
« Dis-moi Alecos
Allons-nous vers quelque chose
Qui ressemble un peu
À notre vie ? »
Le texte original est exposé aux yeux émus du visiteur , où les mots de Navarre sont progressivement contaminés par la Grèce, par la mythologie, où le bleu du trait de Fassianos enrobe la poésie dans sa propre danse : un texte à découvrir dans son tirage premier comme en fac-similé.
Enfin, il faut dire aussi combien l’exposition en tant que telle est phénomène : l’architecte missionné, Tassis Papaioannou, a pensé un mobilier conçu pour l’exposition elle-même, hommage aux couleurs et aux formes de l’œuvre de Fassianos. Les bancs reprennent les formes des visages de ses personnages, les colonnes sont ouvragés en reproduisant des motifs des tableaux, les vitrines forment un tout où s’imbriquent les textes, le mobilier et les lithographies. Aussi, admirer dans ses formes, les courbes de Fassianos comme les lettres manuscrites de Navarre à son ami. Jusqu’au 29 juillet, c’est ainsi tout un imaginaire littéraire et pictural que nous offre à voir cette belle collaboration sensible et lumineuse.
Galerie Élysée Saint-Honoré, 13, rue d’Aguesseau – 75008, Paris.