Attention, roman-culte : Les chérubins électriques, chronique sauvage de la bohème chic et désespérée de la fin des seventies, unique roman de Guillaume Serp, mort à 27 ans d’un mélange d’alcool et de médicaments, vient d’être réédité chez l’éditeur singulier. Où La confession d’un enfant du siècle à l’heure des Stinky Toys.
On ne le redira jamais assez : les années 80 sont une chic époque pour commencer un roman qu’on n’achève pas, monter un groupe de rock répondant au nom de « Philippe et les Chics Types », vomir du sang dans les couloirs du Rose bonbon avant de monter sur scène, acheter la Pravda au drugstore sans comprendre le russe, écouter Helen of Troy de John Cage, vivre quelques passions destructrices, avec Ancilla Darling, ou Cassandre, qui s’habille en tailleur et boit des coca-fraise à la terrasse du Flore, lui dédier un quatrain triste et houellebecquien, sur la nappe vierge d’une table du Joe Allen :
L’horizon blanc se fait plus et plus elliptique
Au bout de la patinoire de l’oubli lent
Et il avale nos regards neuroleptiques
Se moquant probablement, mais tout doucement
C’est en tous les cas le quotidien pathétique et violent de Philippe, qui tente vaille que vaille de noyer ses « hypothétiques chagrins » d’enfant perdu du XXème siècle agonisant à grands renforts de bastons avec les « nazillons » du Gibus, d’acides et de poudre grise inoculée au creux de nuits confuses et d’aubes blafardes, dans les toilettes du « Bonbek » ou de l’Olympia.
Nos années folles
Autant dire qu’il n’est pas étonnant de croiser le nom de Guillaume Serp au détour du roman Vacances dans le Coma de Frédéric Beigbeder : Guillaume Israël de son vrai nom avait en effet tout pour fasciner le laudateur de Bret Easton Ellis. Etoile filante et fascinante de la « Blank generation » né en 1960, Guillaume était le chanteur de l’emblématique groupe New Wave Modern Guy. Comme nous le narre très bien le journaliste Alexandre Fillon dans sa belle préface, avant de décéder en 1987 rue du Mont-Thabor à Paris, le jeune homme chic eut le temps d’écrire quelques chansons pour Lio et Luna Parker, de se faire interdire l’entrée du Bain Douches, d’interviewer Bukowski le jour de son passage à Apostrophes, d’aller étudier la littérature et le cinéma à UCLA, et d’écrire un second roman que Robert Laffont refusa, Reparti pour un tour.
« Du boulevard Saint Germain montaient, confuses, des rumeurs quasi océanes »
“Notre conversation ressemblait à un solo de Charlie Parker. Qui pourrait raconter un solo de Charlie Parker ?”
Les chérubins électriques, paru en 1983, précède de deux ans, et annonce la publication de l’emblématique Moins que Zero, le tout premier roman de Bret Easton Ellis, qui parviendra à fixer pour la postérité un certain mal du siècle estampillé « génération X », et dont on ne peine pas à reconnaitre les symptômes chez Philippe : « Collecteur de sensations. Collectionneur bordélique d’impressions. Ni thème ni chronologie. Superficiel en profondeur, je ne prenais plus la peine d’être profond en surface. Ancilla ne flottait pas, ne dérivait pas. Elle parlait doucement. ». Dans la veine de l’auteur d’American Psycho, par ses formules à la fois ramassées et décalées, qui font mouche, Guillaume Serp arrive à insuffler à cette chronique désabusée d’une jeunesse « neo-beatnik » à la dérive, un certain charme lancinant et glacé, une grâce un peu pathétique, qui reste : « J’eus Cassandre au bout du fil. Elle paraissait inquiète. Je lui parlai de choses très variées et très confuses. Notre conversation ressemblait à un solo de Charlie Parker. Qui pourrait raconter un solo de Charlie Parker ? »
Vous aurez compris l’idée : si vous avez été sensible au Bright Lights, Big City de Jay McInerney, la couverture jaune et bleu des Chérubins électriques se doit de figurer dans votre bibliothèque.
- Les chérubins électriques de Guillaume Serp, L’éditeur singulier, 224 pages, 16, 50 euros, octobre 2013.