Paru aux Editions des Lisières en janvier 2023, La fille du chien de Perrine Le Querrec est un livre d’une douceur délicate où le verbe arrime au plus juste du sensible, dans un livre dont la beauté se suffit à elle seule, s’ouvrant notamment sur une linogravure originale de Laetitia Gaudefroy Colombo.
La fille du chien, et on goûtera déjà cette ambiguïté du complément du nom, nous attire progressivement vers une scène de rencontre, des textes entre eux, des paroles, des êtres. Vers la parole de la fille, vers la parole comme échange, fût-elle tue : « un sourire est-il une réponse ». C’est un espace scénique qui se déploie où interviennent ces présences, ces regards, ces êtres là. Leur décor.
« le livre repose dans la cuisine il
ne traîne pas il y habite demeure
sur la table près de l’assiette unique »
Le décor et l’image, le tableau et les corps, et le récit d’une expérience intime, d’une présence silencieuse qui se répond
« la pensée c’est le bras
c’est la main qui avance
la jambe qui plie
la pensée c’est le chien
le poumon qui se gonfle
l’aorte qui bat »
On demeure envoûtés par cette pantomime délicate où les êtres communiquent de sensations, de ressentis. La chair, le corps, qui sont si présents dans l’écriture et le travail de Perrine Le Querrec sont ici ramenés à leur sensorialité apaisée, comme s’ils demeuraient retirés du monde, biaisant la violence dont on connaît la peinture si visuelle et effervescente. Ici c’est la présence de ce chien-là, sa chaleur, son reflet encore et son hospitalité.
« chuchotements des vies
répéter l’amour
ancêtres dans le sang
tracer sur les murs les scènes
de chasse de guerre »
Le livre, bel objet disais-je, qui fait se succéder deux types d’écritures. Si la différence est d’abord simplement distinguée par la typographie on comprend assez rapidement qu’elle témoigne d’une communication ininterrompue : ces textes qui se suivent, poèmes ou fragments, se répondent, comme si le second devenait un commentaire qui surgissait de l’extérieur, de cet outre-lieu reculé d’où se disent les présences.
« la terre
gras
elle
l’assiette
sa voix
feuille
sa langue
sa bouche »
Car ce texte dit l’expérience de la solitude et d’une solitude certes partagée mais qui s’érige dans un espace autre, contre le
« le flou partout
la rébellion du corps »
Il est comme l’espace d’une sédition qui a eu lieu et cherche le repos
« petits sanglots se perdre
étreint le coeur et les mâchoires
aucune main ne se tend pour vivre
la ramener sur le bon chemin
la terre la détrousse
tant pis pour l’éboulement »
Non comme la promesse brutale et triste d’une désolation et d’un besoin de dépeuplement mais comme l’aspiration au retrait et au retour à la parole de l’intime, d’une parole sensible et sentie plutôt que détournée et contournée, d’une expression qui soit dans la plus légère signifiance et touche pourtant au plus juste.
« soleil apprivoisé de caresses
sur le museau
renversée
l’ombre double devance
coule de tronc en tronc
puis regarder le ciel
souvent les yeux au ciel »
Joie de découvrir une autre palette de l’écriture de Perrine Le Querrec, qui décidément étoffe le verbe et le poème. Joie de la beauté de cette Fille du chien, aux éditions des Lisières, qui nous place au plus près de la rareté précieuse du mot pour l’expression poétique qui dit l’intime.
Référence : Perrine Le Querrec, Fille du chien , éd. Les Lisères, janvier 2023