La sortie d’un nouvel ouvrage de Vincent La Soudière devrait faire événement. Son œuvre – presque entièrement posthume – est d’une actualité radicale. Elle dévoile le scandale d’un homme en rupture avec le monde – mais elle témoigne aussi des ressources intérieures qu’on peut puiser dans la lecture et dans l’écriture. Batelier de l’inutile, publié dans un silence assourdissant par les éditions Arfuyen en juin 2024, est un tissage de textes extrait de ses carnets qui s’étendent de 1988 à sa mort en 1993. 

« Mes blessures entendent le monde rugissant. Le monde s’y engouffre comme attendu de toujours. » Vincent La Soudière.

Vincent La Soudière écrit toujours depuis ses profondeurs intérieures. Ses carnets esquissent une forme de bilan, après la grande crise qui l’avait conduit au bord de l’abîme mais qui avait abouti à la publication de ses Chroniques antérieures, seul livre publié de son vivant. Dans ce nouvel ouvrage, il semble un peu plus apaisé – ou plutôt il exprime une forme de résignation et accepte son sort : « Je ne suis que l’en-delà du splendide et du triomphal. Je reste donc planté comme un filet sur la plage ; un filet crispé, en attente de langage. Un nez, rien qu’un nez proposé à tous les tropes, essayant de retenir les leçons cosmiques du vent. »

L’une des forces de ce recueil de texte s’incarne dans les très beaux fragments consacrés au voyage et au départ. La Soudière, qui se qualifie lui-même très volontiers de « vagabond non portuaire » propose tout un ensemble d’images liées aux pèlerinages, à la route et au mouvement. Ces fragments sont toujours réversibles, et le spectre de la déshérence hante le désir de liberté : « Qui m’assure que je n’ai pas pris le mauvais train ? Qui vive : j’ai perdu ma clef et mon passeport. Je ne passerai pas la frontière ». Pourtant, certains de ses élans possèdent une force stupéfiante comme lorsqu’il évoque une traversée des Pyrénées à vélo – réelle ou fantasmée : « Je me suis donné furieusement, amoureusement, mon âme grimpant à l’assaut des pentes dénudées, comme on caresse un corps avec trop de flammes. »

Vincent La Soudière est l’écrivain des mystiques malheureux, des croyants boiteux et des clochards de l’existence.

 La crise identitaire est toujours au cœur de nombreux fragments, comme pour attester de la difficulté fondamentale que Vincent La Soudière éprouve à ancrer son...