Paris est un livre d’Alexis Margowski est un ouvrage colossal qui témoigne des liens indéfectibles entre Paris et le monde des livres. On découvre de très nombreuses photographies de librairies qui illustrent la diversité impressionnante des librairies parisiennes. On trouve à la fois des librairies historiques et d’autres bien plus récentes. À cela s’ajoutent tous les hommages que la capitale rend aux écrivains à travers les plaques et les statues – mais aussi ceux que les écrivains rendent à la ville. 

Paris est un livre

Pierre : Paris est un livre est un projet vertigineux qui recense toutes les librairies parisiennes et qui donne à voir le rapport fusionnel et tumultueux entre Paris et le monde du livre. C’est à la fois un livre d’art mais c’est aussi un travail érudit. Comment est née l’idée de ce projet si particulier ? 

Alexis : Ce projet s’est construit à partir de mes déambulations dans Paris, notamment dans le Ve et le Ve arrondissement. J’adore marcher et regarder les vitrines. Ce que j’aime particulièrement, c’est ce que les libraires affichent dans leurs vitrines. Ils y mettent énormément de leur personnalité, notamment dans les petites librairies indépendantes parisiennes. On y trouve des petits mots, des messages, des photocopies ; j’aime vraiment ce côté artisanal et unique. En me promenant dans les cinquième et sixième arrondissements, j’ai remarqué à quel point ces quartiers regorgent de librairies. Ce sont les deux arrondissements emblématiques de l’édition et des librairies à Paris.

En approfondissant mes recherches, j’ai constaté l’immense concentration de librairies, même si leur nombre a considérablement diminué au fil des années. Par exemple, de 1200 librairies en 2000, on est passé à environ 625 aujourd’hui. Certains libraires sont pessimistes, voire amers, face à cette décroissance. Pourtant, dès que j’ai vu cette richesse, j’ai eu envie de documenter cet univers, de dresser un état des lieux de la librairie parisienne.

Je voulais mettre en lumière ces libraires parfois âgés, encore passionnés, comme Florence de Chastenay, à la fin de la rue Gay-Lussac. Je me suis dit qu’il fallait photographier, documenter ces vitrines et boutiques uniques, avant qu’elles ne disparaissent faute de repreneurs dans quelques années. Mon objectif était aussi de célébrer ces petites librairies de quartier, si différentes des rayonnages impersonnels des grandes surfaces ou des plateformes numériques comme Amazon, ces librairies d’où peut surgir le poétique du moindre détail.

La France a encore la chance de préserver cet équilibre grâce à des mesures comme la loi Lang, qui protège les libraires. C’est une spécificité qu’il faut valoriser.

Donc, l’enjeu principal, c’était d’abord de faire un état des lieux de la librairie parisienne et de mettre en avant ces libraires ?

Exactement. Je voulais aussi montrer la beauté de leur diversité. Chaque libraire a sa spécialité : Par exemple, Transboréal est la librairie des voyageurs au long cours. Certains libraires sont aussi éditeurs, proposant à la fois leurs publications et des ouvrages provenant d’autres éditeurs. C’est une richesse incroyable. Je pense aussi à Présence Africaine, pas très loin, qui est magnifique. J’ai imaginé ce livre aussi avec le souhait de faire disparaître les barrières entre les librairies de livres neufs, d’occasion et anciens, pour au contraire unir, les rassembler ! mettre en lumière ce talent parisien, un talent si français.

J’ai imaginé ce livre aussi avec le souhait de faire disparaître les barrières entre les librairies de livres neufs, d’occasion et anciens, pour au contraire unir, les rassembler

Ton livre est également une manière de mettre en valeur les lecteurs parisiens. Il s’ouvre sur des photographies de lecteurs dans différents endroits de Paris. Alors, quel est le meilleur endroit pour lire à Paris ? Y a-t-il des lieux qui t’ont marqué ?

Pour moi, dès qu’il ne pleut pas, les jardins parisiens sont idéaux. Les squares, les bancs publics, les grands espaces : il y a tant de possibilités. Dès qu’un rayon de soleil apparaît, on voit des lecteurs partout. Mais, comme le dit Jacques Attali dans la préface, les cafés, et en particulier les terrasses, sont une extension naturelle des bibliothèques et des librairies. Les cafés parisiens, avec leur diversité, prolongent cette intimité avec les livres. En hiver, les lecteurs s’installent à l’intérieur, souvent seuls à leur table avec un café ou un repas.

Quand je vois quelqu’un plonger dans un livre ou une revue, cela m’émeut profondément. Pour moi, c’est un manifeste d’indépendance d’esprit, surtout à une époque où nous sommes tous rivés à nos portables. Voir quelqu’un lire, c’est comme un souffle de liberté. J’ai envie de lui parler, mais aussi de respecter son silence.

Dans ton livre, tu évoques aussi les plaques, statues et lieux qui rendent hommage aux écrivains à Paris. As-tu découvert des plaques ou statues qui t’ont marqué particulièrement ?

Absolument. Il y a cette plaque dédiée à Endre Ady, un poète hongrois, près de la rue de l’Odéon. Elle porte cette phrase magnifique : « Paris est planté dans mon cœur. » Ce genre de détail te donne envie de plonger dans l’œuvre de l’auteur. Il y a aussi des plaques plus sombres, comme celle d’Ossip Mandelstam, rue de la Sorbonne, qui reflète sa vie tragique. J’ai découvert des poètes, des philosophes venus du monde entier – d’Asie, d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est – qui ont trouvé à Paris une terre d’accueil et d’inspiration.

Ces plaques sont souvent accompagnées de citations qui donnent envie de découvrir leurs œuvres. Certaines inscriptions sont très inspirantes, comme celle d’Henri Guéhenno : « Un livre est un outil de liberté. » Paris est un hommage vivant à ces auteurs. Les plaques, les statues, mais aussi les maisons d’écrivains – comme celles de Balzac ou de Victor Hugo – racontent leur histoire et celle de la ville.

Dans ton livre, il y a une anthologie de textes liée à la fois à la Ville de Paris et aux livres. Qu’est-ce qui a guidé tes choix dans cette sélection ? Pourquoi avoir mêlé des écrivains contemporains à des auteurs patrimoniaux ?

Ce sont avant tout mes lectures des trois, quatre, cinq dernières années. Tout ce que j’ai lu et qui m’a profondément ému, je voulais le partager dans ce livre. Cela m’a demandé un énorme travail pour obtenir les autorisations de reproduction auprès des maisons d’édition comme Gallimard, Albin Michel ou Le Seuil. Cela a représenté beaucoup de démarches, mais c’était fascinant d’entrer en contact avec ces univers éditoriaux.

Pour l’anthologie, j’ai voulu inclure tout ce qui m’avait marqué, mais je me suis un peu freiné sur les auteurs contemporains. J’aurais aimé un équilibre plus marqué entre vivants et classiques, mais cela dépendait beaucoup des droits. Tout ce qui est tombé dans le domaine public avant 1953 était plus simple à intégrer. En revanche, pour les textes postérieurs, il fallait obtenir des autorisations, et cela prend du temps.

Par exemple, j’ai fait des demandes auprès d’Arte Radio, de la Maison de la Radio, et même pour des citations tirées de podcasts ou d’émissions. Mais ces démarches, bien que laborieuses, ont aussi été enrichissantes. Chaque texte inclus reflète un coup de cœur personnel, une lecture qui m’a profondément touché.

Et dans cette anthologie, on trouve à la fois des écrivains très connus et d’autres plus confidentiels.

Exactement, j’ai même transcrit des extraits de podcasts ou de vidéos sur Instagram, comme une petite vidéo de Jacques Attali en mars dernier où il faisait l’éloge du papier. J’ai obtenu son autorisation et retranscrit moi-même ses paroles, car c’était une réflexion magnifique, unique.

L’anthologie mélange des fragments variés : des poèmes de John Keats, peu connu en France, des textes de Jules Renard, de Nikola Tesla – un personnage fascinant et visionnaire que j’ai voulu mettre en avant, avant l’ère d’Elon Musk. Il y a aussi des philosophes comme Henri David Thoreau ou Serge Latouche. Ce dernier est un théoricien de la décroissance que j’admire beaucoup. Il prône la lenteur, un concept essentiel pour la lecture aujourd’hui.

C’est une anthologie qui parle essentiellement des livres, mais Paris y surgit toujours, presque par effraction.

Oui, absolument. Tout le fil conducteur de l’anthologie, c’est le livre, la lecture et Paris. Les liens entre les auteurs, les poètes, les philosophes et la ville sont omniprésents : certains y ont vécu, d’autres y sont passés ou y ont puisé leur inspiration. Il y a aussi un hommage aux libraires, aux bouquinistes, et aux quartiers emblématiques de Paris. Par exemple, j’ai inclus un extrait de George Sand, tiré d’une correspondance écrite depuis un petit appartement au cinquième étage, près de Notre-Dame. Elle raconte qu’elle entend les chevaux passer en bas, que cela sent la crotte. C’est un moment intime et vivant, où l’on ressent Paris à travers sa plume.

Tout le fil conducteur de l’anthologie, c’est le livre, la lecture et Paris.

Une dernière question, plus personnelle cette fois : pour toi, quel écrivain incarne le mieux Paris ?

C’est difficile de répondre, mais je pense tout de suite à Léon-Paul Fargue, souvent surnommé le piéton de Paris. Il a écrit des textes pour chaque arrondissement, et son texte sur le 5ᵉ, que j’ai inclus, est un chef-d’œuvre. Il y fait revivre Paul Verlaine, qu’il croisait parfois dans des cafés. Ce texte capture l’esprit du quartier latin : les jeunes étudiants, les professeurs de la Sorbonne, toute une effervescence culturelle. C’est une ode à Paris, ce Paris intemporel et vibrant que l’on veut préserver.