Dans son essai Les passeurs de l’absolu, publié aux éditions Artège, Emmanuel Godo explore la trajectoire d’une galerie d’écrivains qui cheminent en quête de Dieu. Cet ouvrage précieux nous entraîne à relire certains monuments de la littérature chrétienne comme Victor Hugo ou Charles Péguy, mais également à découvrir des écrivains plus discrets comme Vincent La Soudière ou Maria Zambrano. Véritable hymne à la transcendance, ce livre permet de retracer l’itinéraire parfois sinueux de ces hommes et ces femmes qui ont témoigné de leur rencontre avec Dieu dans l’écriture.
« Le poète lutte et joue avec les mots par nécessité, parce qu’il ne peut pas faire autrement. Sans doute faut-il d’abord en dire autant du religieux, comme du croyant. Il a découvert “quelque chose” qui ouvre en lui l’impossibilité de vivre sans cela. » Dans La Faiblesse de croire, Michel de Certeau établit un parallèle entre la figure du poète et celle du croyant. Ce rapprochement ne tient pas seulement au caractère essentiel de l’écriture ou de la foi mais également au profond mystère qui recouvre ces deux manières d’être. Certains écrivains marqués par la grille de l’archange rôdent autour de ce mystère et en dessinent parfois fort élégamment les contours. La littérature s’est ainsi en partie constituée à l’ombre de Dieu et Emmanuel Godo propose à son lecteur de découvrir le cheminement spirituel de vingt-cinq écrivains dont les œuvres variées, tantôt orageuses, tantôt éblouissantes, témoignent de la multiplicité des visages que peut revêtir la rencontre avec Dieu. De Victor Hugo qui cherche à transformer le langage pour conquérir l’infini et qui rend sensible la présence de Dieu jusqu’à la parole en souffrance de Sylvie Germain, les portraits ébauchés par Emmanuel Godo rendent compte de la diversité des sensibilités de ces chercheurs de l’absolu. Ce recueil de texte n’a pas l’ambition d’être exhaustif mais a pour vocation de faire résonner ces voix qui oscillent entre l’ombre et la lumière.Une parole enthousiaste
Certains écrivains marqués par la grille de l’archange rôdent autour du mystère de Dieu et en dessinent parfois fort élégamment les contours.
La galerie de portraits esquissée par Emmanuel Godo permet de rendre sensible une dimension de l’acte d’écrire à laquelle un grand nombre d’écrivains contemporains semblent avoir renoncé, celle de dévoiler : « le monde infini qui se tient derrière le vrai et sans lequel le monde vrai deviendra bientôt un monde spectral », pour reprendre les mots de Cristina Campo, poétesse à l’œuvre de feu citée dans cet ouvrage. Ces écrivains de l’Apocalypse travaillent patiemment à faire résonner une forme de transcendance dans un monde chaotique. La manière de faire entendre cette parole est propre à l’idiosyncrasie de chaque poète. Ainsi, Emmanuel Godo rend hommage à la voix boiteuse de Verlaine : « Il fallait que cette voix chevrote, qu’elle tonne à contre-temps, qu’elle défaille plus que de raison pour qu’elle fasse son chemin dans les consciences façonnées par l’Utile. Et c’est parce qu’elle est boiteuse et fissurée qu’elle nous atteint là où nous sommes le plus vulnérable, à la jointure de nos caparaçons moraux. » De même, à cette voix douce et abîmée, répondent les imprécations orageuses de Léon Bloy, les cris déchirants de Vincent La Soudière ou les discours tonitruants de Bernanos.
La vigilance dans la Nuit
« Celui-là seul est sauvé qui souffre et qui sait qu’il souffre et offre à Dieu sa souffrance »
Max Jacob, Méditations religieuses
Ce recueil de textes est également l’occasion de voir que la relation avec Dieu ne se vit pas toujours sous le mode de l’évidence. Les écrivains rassemblés par Emmanuel Godo sont souvent mis à l’épreuve : Flannery O’Connor a souffert toute sa vie d’une maladie éreintante, Antoine de Saint-Exupéry a connu la tentation du suicide, Marie Noël a bâti sa vie à l’ombre de drames existentiels, Léon Bloy a habité une pauvreté radicale, Etty Hillesum et Max Jacob ont été déportés. Pourtant, et c’est l’une des grandes leçons de cet ouvrage, ces chercheurs de spirituel ont exploré la nuit pour faire de leurs écrits une flamme fugitive qui scintille dans un monde plongé dans les ténèbres.
En ce sens, l’œuvre de Vincent La Soudière est véritablement éclairante. Ce poète au destin fragile est le chantre d’une souffrance ontologique propre à notre époque. Sa correspondance retrace son cheminement poétique et intellectuel mais propose également une voie nouvelle. Vincent La Soudière est celui qui cartographie son désespoir à partir de figures bibliques comme celle de Job. Fasciné par la descente aux Enfers du Christ, il inscrit sa souffrance dans un horizon spirituel et souhaite atteindre une forme de rédemption à travers un renversement final : « Je crois qu’il faut avoir désespéré de tout pour être admis à la table de la seule Espérance ».
Ces passeurs d’absolu sont une source vive d’inspiration et d’enthousiasme. Ils nous permettent de fendre la mer gelée qui est en nous, d’ouvrir de nouvelles perspectives et d’appréhender la nuit à la lueur de l’espérance. Pour le dire avec les mots d’Emmanuel Godo, les passeurs d’absolu : « ont entrevu un chemin de pauvreté, de nuit, de foi, de fraternité, d’espérance, d’amour, et ils ont travaillé pour en transmettre le secret à quiconque en aurait besoin ». Chaque lecteur est libre de convoquer sa bibliothèque intérieure pour ajouter à ces portraits d’autres écrivains à la trajectoire incandescente. Pour ma part, j’aurais également rendu hommage à Armel Guerne, Simone Weil, Jean Grosjean, Joë Bousquet ou encore Béatrice Douvre.
Bibliographie:
Godo, Emmanuel, Les passeurs d’absolu, Artège, 2022.