« Écrire pour donner aux autres l’envie de lire Péguy intégralement. », tel est le défi que Jean-Luc Seigle se lance à lui-même, dans le brillant texte placé au seuil de son récit Le Cheval Péguy. L’auteur revient sur l’enfance d’un écrivain problématique, aujourd’hui quelque peu oublié, voire négligé, quand il n’est pas décrié. Il retrace le parcours qui mène Péguy d’une existence paysanne, modeste et heureuse, à une écriture marquée par sa passion pour Jeanne d’Arc, héroïne qui devient l’image des valeurs qui lui tiennent à coeur. Ce vibrant éloge de Charles Péguy s’accompagne d’une réflexion sur la constitution d’une figure mythique, mais sous-tend également une célébration de la littérature.
Avec Le Cheval Péguy, le lecteur est invité à suivre la formation du « petit Charles », c’est-à-dire à voir s’insinuer en lui un irréductible amour de la poésie et des lettres, ainsi qu’une brûlante passion pour Jeanne d’Arc. Ce touchant récit nous est conté de manière à faire apparaître l’homme, pour mieux inciter à découvrir son oeuvre. La postérité malmenée de Charles Péguy ressemble à une silhouette qui aurait été tracée à gros traits, à coups de simplifications. C’est précisément à l’encontre de cette vision préconçue que Jean-Luc Seigle souhaite aller. Le style adopté participe de la construction d’une relation quasiment intime avec Charles Péguy, et témoigne de l’amour que l’auteur porte à cet écrivain qui le « renverse » et l’ « envoûte ».
Tout comme l’homme qui l’a tant aimée, Jeanne d’Arc n’a cessé d’être le support de stéréotypes. Cette figure mythique a été (et continue d’être) l’objet de diverses récupérations, douteuses et dangereuses pour certaines. Mais comme l’indique Jean-Luc Seigle, l’écriture de Charles Péguy s’oppose à cet enfermement idéologique : « Il faut qu’il écrive SA Jeanne, la Jeanne du temps de sa mère et de sa grand-mère, la Jeanne de l’école de la République. Il faut qu’il écrive contre le mensonge des images (…) ». Loin de figer « sa Jeanne », Péguy l’a montrée dans le mouvement de l’engagement. L’insistance sur le risque de la récupération est associée à une mise en évidence des pouvoirs de la littérature : « Alors, il faut agir. Agir, c’est écrire. »
Portrait élogieux de Charles Péguy, le livre de Jean-Luc Seigle présente aussi l’intérêt d’illustrer la naissance d’une vocation littéraire, et par là même de célébrer la force de la littérature, la « mystique de l’écriture » (titre de l’acte III de ce « mystère »). C’est dans la maison de sa mère rempailleuse, sur une chaise fabriquée pour lui, que Péguy trouve le repaire propice à l’exercice de son activité d’écriture. Cette mise en scène d’un écrivain au travail contribue à valoriser cette pratique, à la distinguer d’une simple inspiration créatrice. C’est alors qu’intervient la comparaison, d’abord suggérée, puis explicitement mise en lumière, entre le tissage de la paille et l’entrelacement des mots : « Alors, il écrit… Il écrit comme elle rempaille. Il fait de ses phrases des brins de paille qui passent et repassent. (…) Ainsi seulement il parvient à repriser les trous de mémoire de l’histoire. Il n’est pas fils de rempailleuse pour rien. »
Portrait élogieux de Charles Péguy, le livre de Jean-Luc Seigle permet de célébrer la force de la littérature
Ouvrir Le Cheval Péguy, c’est entrer en sympathie avec un écrivain dont l’évolution politique complexe a donné lieu à une image toute faite, peu engageante. On y découvre un homme passionné pour qui l’écriture s’est présentée comme un cheval, compagnon essentiel dans la bataille qu’il a livrée contre le « mensonge des images ». Ce récit résonne comme une célébration de la littérature, non seulement de l’écriture, mais aussi de la lecture, exercice dans lequel le lecteur se doit d’être impliqué. C’est ce que nous rappelle la citation de Charles Péguy que Jean-Luc Seigle a choisi comme épigraphe : lire, ce serait « entrer dans une oeuvre (…) avec amitié, avec fidélité, avec même une sorte de complaisance indispensable, non seulement avec sympathie, mais avec amour (…) la lecture est l’acte commun, l’opération commune du lisant et du lu, de l’oeuvre et du lecteur, du livre et du lecteur, de l’auteur et du lecteur » (Clio. Dialogue de l’histoire et de l’âme païenne). À nous donc d’entrer dans la « cathédrale » de Charles Péguy…
- Le Cheval Péguy. Un mystère, Jean-Luc Seigle, Pierre-Guillaume de Roux, 122 pages, 15,50 €, Juin 2014.
Claire Rozenbaum